Alain Françon : Et si c'était vrai
Scène

Alain Françon : Et si c’était vrai

Le metteur en scène français Alain Françon est en ville pour présenter, en première canadienne, deux pièces percutantes et tranchantes à souhait. Il présentera d’abord Si ce n’est toi d’Edward Bond. Propos recueillis.

Dans le cadre du Laboratoire de mise en scène du Centre national des Arts, le directeur artistique du Théâtre national de la Colline de Paris, Alain Françon, ainsi que l’auteur saguenéen Daniel Danis, en résidence à la Colline, cognent à la porte d’Ottawa pour y présenter deux productions. Dans un premier temps, Françon présente Si ce n’est toi de l’auteur britannique Edward Bond, une farce tragique de science-fiction. "Le compagnonnage que j’ai avec Edward Bond dure depuis longtemps; je dois avoir monté une dizaine de ses pièces. C’est devenu un ami, il me tient au courant sans arrêt de comment il écrit, de ce qu’il écrit. Sans théoriser, le théâtre de Bond, ç’en est un que je qualifierais de post-bretchtien."

Dans un format d’à peine 75 minutes, Bond place son histoire en 2077 alors que Sara (Dominique Valadié), seule chez elle, est terrorisée au son de cognements à sa porte. Elle vit dans un monde où le gouvernement interdit la possession d’objets de valeur, où l’intimité n’a plus sa place et où on a dépossédé l’humain de son humanité. Entrera son mari Jams (Luc-Antoine Diquéro), police basse qui surveille les édifices en ruine de la ville et, plus tard, Grit (Abbès Zahmani), un va-nu-pieds qui viendra déranger l’ordre – ou plutôt le désordre – établi avec une photo (objet proscrit), prétendant être le frère de la dame. "L’homme et la femme sont en quelque sorte des apparatchik du pouvoir en place qui a interdit le passé et qui contrôle tout. Ces gens sont impressionnés par l’inattendu alors quand surviennent les situations extrêmes, c’est dans cet incontrôlable qu’il reste un peu d’humanité. […] Le fait d’avoir placé son action à l’intérieur permet aussi des situations hilarantes lorsque les personnages s’engueulent comme des chiens, tellement qu’on se croirait dans un Feydeau. Ainsi, de ne pas intimider le public dans le tragique d’un lieu comme les ruines, ça lui a permis cet humour."

Dans ce monde chaotique où le besoin de liberté est viscéral, les gens se poignardent dans les déserts de décombres ou en se jettent en bas des ponts. "Bond n’essaie pas de prévenir l’avenir, il n’agit pas comme un prédicateur; il essaie plutôt de dire: "Voilà ce qui peut se passer si on continue comme ça… D’ailleurs, attention, ça a peut-être commencé.""

Alain Françon, qui est membre du groupe de discussion Sensible où des gens de théâtre, de danse et philosophes se réunissent pour réfléchir sur la nature du théâtre et sa place dans la société, est constamment confronté à la question de la fonction de ce médium. En tant que directeur artistique d’un théâtre national, il avoue collaborer à des projets dont l’esthétique lui déplaît ou encore dont le texte ne lui est d’aucun intérêt. Les auteurs qui l’attirent, pour ses propres mises en scène, sont généralement engagés, politisés. "L’interrogation fondamentale encore aujourd’hui lorsqu’on fait du théâtre, c’est qu’est-ce que la représentation, aujourd’hui, c’est-à-dire cette étape qui consiste à représenter, à nouveau, devant une assemblée théâtrale où chacun est venu pour prendre sa place ou trouver enfin sa place. Alors, ce n’est pas un geste mineur, ni anodin. Le théâtre, depuis longtemps, est parti dans le divertissement, la gaudriole, des folies comme ça… Si c’est ça, le théâtre, je ne veux plus en faire; c’est simple, ça ne m’intéresse pas une seconde", note-t-il. La pièce de Daniel Danis, qu’il a aussi mise en scène, sera quant à elle présentée du 19 au 28 mai au Théâtre du CNA. Les deux productions seront ensuite présentées au Festival de théâtre des Amériques à Montréal en début juin.

Jusqu’au 14 mai à 20 h
Au Studio du CNA

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