Estelle Clareton : Pointe de l'iceberg
Scène

Estelle Clareton : Pointe de l’iceberg

La chorégraphe Estelle Clareton signe la mise en scène – sa première – de Comme en Alaska d’Harold Pinter, une pièce qui met en image les mouvements intérieurs d’une femme paralysée.

S’il est un auteur qui sied bien à l’imaginaire chorégraphique, c’est sans aucun doute Harold Pinter. L’auteur britannique est reconnu pour ne livrer textuellement que la surface d’un monde immergé…

Sa courte pièce Comme en Alaska n’échappe pas à la règle. Une femme catatonique depuis 29 ans se réveille un beau jour dans une chambre qu’elle ne connaît pas, dans un corps qu’elle n’a pas appris à connaître. La jeune fille de 16 ans parle maintenant au travers d’une femme devenue quadragénaire. Elle s’adresse au médecin, et son soliloque échappe à toute logique. On a souvent dit des personnages de Pinter qu’ils peinent à communiquer. L’auteur se contente de préciser qu’ils communiquent trop bien en dehors des mots. Le discours décalé de cette Déborah inconnue d’elle-même en est un exemple probant.

Estelle Clareton choisit pourtant de mettre l’accent sur un troisième discours, celui de l’esprit emprisonné dans un corps inerte. La pièce ouvre sur un monde où les voix extérieures sont sourdes. Trois danseuses, illustrant les trois décennies écoulées, évoluent autour d’une civière qu’elles s’échangeront au fil du temps. Évoluant dans un cube d’ardoise, le personnage principal et ses trois alter ego tracent des lignes qui peuvent à tout moment être effacées. La force de l’image réside surtout dans la confrontation des corps, dont celui, fougueux, de la jeune Rosalie Ducharme, papillonnant dans cette boîte close.

Cette transposition de la vie muette dans le corps immobile demeure la partie la plus réussie. Car si Clareton choisit d’insister sur le prétexte, c’est-à-dire le sommeil de Déborah, elle en délaisse la suite, soit ce qui se passe après le réveil. Sous cet angle, la parole ne devient que le simple contrepoint de l’immobilité, une justification bien insuffisante pour le théâtre. D’ailleurs, toute la force de l’entreprise de Clareton ne revient par la suite que dans l’instant fugace où Déborah sent son corps se "verrouiller" de nouveau. Entre les deux, la parole flotte sans raison, étrangement oubliée.

Jusqu’au 11 juin
Au Théâtre de Quat’Sous

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