La Chambre d’Isabella : Visages du XXe siècle
La Chambre d’Isabella, spectacle d’ouverture de la 5e édition des Théâtres d’Ailleurs, propose une promenade étonnante à travers le XXe siècle. Brigitte Haentjens, codirectrice artistique de l’événement, nous en parle.
Production de la Needcompany, de Bruxelles, la pièce a été créée en juillet dernier, au Festival d’Avignon. Brigitte Haentjens y était. "C’est un spectacle absolument irrésistible, lance-t-elle. Pourtant, c’est super simple ce qu’ils mettent en jeu. Mais ça provoque une telle joie, chez les spectateurs!"
La Chambre d’Isabella, c’est la rencontre avec un personnage fort, singulier: Isabella Morandi (Viviane De Muynck), 94 ans, aveugle, vivant seule dans une chambre, à Paris. Entourée d’une collection d’objets exotiques, elle se remémore des moments importants de sa vie. Fille d’un prince du désert, elle a été élevée par Arthur et Anna; ce n’est qu’après leur mort qu’elle apprend la vérité sur son origine. Sur scène, avec elle, les êtres qu’elle a aimés: ses parents adoptifs, ainsi que ses amants, Alexander et Frank, qu’elle convoque par le souvenir.
À travers le parcours personnel d’Isabella sont évoqués de nombreux événements d’un siècle mouvementé qu’elle et ses proches ont traversé: guerres mondiales, Hiroshima, colonialisme et famines en Afrique, course vers la lune mais aussi surréalisme, débuts de James Joyce, succès de Ziggy Stardust de David Bowie… Aux horreurs du XXe siècle répond la vie d’Isabella, marquée par la perte et le deuil, marquée aussi par le désir, la jouissance de vivre, d’aimer. Mémoire collective et mémoire personnelle, "l’Histoire, comme dit Perec, avec une grande hache, et la petite histoire" se conjuguent pour créer, sans jamais appuyer, un portrait fait d’instantanés, dur et vif tout à la fois.
À l’origine du spectacle, une réflexion plutôt sombre de Jan Lauwers, qui signe texte, mise en scène et scénographie : l’idée que le XXIe siècle nous place "face à face avec l’extrême", comme l’écrit Erwin Jans dans son introduction à la pièce. Violence des conflits, perspectives de catastrophes écologiques: devant elles, on reste pétrifié entre le désir de réagir et la nécessité, pour survivre, de se protéger. Autre source du spectacle: les milliers d’objets anthropologiques et ethnologiques, de l’Égypte ancienne et de l’Afrique noire, légués par le père de l’artiste, décédé récemment.
Si la pièce touche des sujets graves, elle a un impact positif sur le spectateur. "Le spectacle a un côté à la fois ludique, iconoclaste, humoristique, avance Brigitte Haentjens. Et un côté, aussi, apparemment désinvolte : ils jouent, chantent et dansent, et tout le monde est très détendu sur scène. Des fois, on a l’impression que c’est un peu n’importe quoi, qu’ils improvisent. Mais c’est pas du tout ça: évidemment, tout est travaillé. En plus, le rôle principal est joué par une femme assez âgée, entourée de jeunes gens: c’est vraiment un pied de nez au conformisme, c’est une glorification du féminin. Et à travers ça, ils passent quand même sur un siècle de barbarie, mais le message est profondément humaniste. C’est sûr que Jan Lauwers, c’est ça qui lui tient à cœur: de délivrer de l’espoir. C’est pas forcément joyeux sur scène, mais nous, les spectateurs, on éprouve de la joie. En fait, ça donne envie de se lever, de chanter avec eux, ou bien de protester; de se mettre en mouvement, en tous cas. À la limite, ça pourrait être un outil de sensibilisation politique ou humanitaire. Jan Lauwers est engagé dans le sens le plus profond du mot: pas juste pour livrer un message, mais véritablement engagé dans son art, dans la collectivité, par son mode de travail. C’est comme s’il donnait, à travers cette noirceur-là, un message de solidarité; cette solidarité est palpable sur scène. On reçoit ça, et malgré le drame qui est raconté, ça nous énergise. C’est très particulier, et c’est très beau."
Du 25 au 27 mai à 20 h, dans le cadre des Théâtres d’Ailleurs
Au Grand Théâtre
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