The Room : Chambre avec vue
Avec The Room, une pièce sur le corps soumis et sur le silence, l’Égyptienne Amal El Kenawy cumule les chapeaux de conceptrice, de metteure en scène, de comédienne et de vidéaste. Rencontre.
"Pour The Room, j’ai essayé de cerner le lien entre l’existence physique – au sens clinique – des humains et leurs mondes privés, en explorant un monde où la réalité se mélange au rêve et l’imagination, à la mémoire." Née au Caire en 1974, Amal El Kenawy s’est d’abord fait connaître comme plasticienne et vidéaste. Travaillant étroitement avec son frère et mentor Abdel Ghany El Kenawy, qui, ici, ne fait que l’aider à la mise en scène, Amal présente en quelque sorte avec The Room son premier projet solo. Elle assume toutes les fonctions de cette pièce multidisciplinaire. "J’essaie de créer un espace où, en utilisant un grand éventail de médiums, je peux me débattre avec mon identité par rapport au monde qui m’entoure. Souvent, je tente d’explorer un univers onirique et illusoire avec, en filigrane, la mémoire de la réalité. Cette réalité passe aussi par ce monde métaphorique caché derrière le physique, le corps, la matérialité. Je tente d’amener l’invisible dans l’espace visuel. Dans ce contexte de travail, j’ai voulu ressentir l’existence d’une chambre métaphorique qui se cacherait derrière la matérialité du corps, une chambre qui reflète l’espace beaucoup plus grand de l’extérieur, qui représente la société, ses possibles, sa condition."
La pièce serait également une observation sur la perte d’une certaine identité dans la vie de couple, où les territoires intimes prennent d’autres visages. "La partie sur les relations est purement accessoire. Ce qui compte vraiment pour moi, c’est de faire la lumière sur les sensations et sentiments découlant de la douleur et de l’isolation. Ce qui m’intéresse, au fond, c’est de créer un langage commun qui exprimerait les émotions sans être confiné dans un lieu ou une culture." La chambre peut donc être un refuge, un espace pour parler librement, mais ses murs expriment aussi certaines limites. "Dans toutes les sociétés, il y a des limites à exprimer les expressions profondes. À la fin, les cultures nous commandent d’utiliser différents degrés de subtilité pour exposer le même sentiment. Les choses symboliques ou indirectes appellent les gens à s’exprimer d’une manière créative. C’est vrai pour les hommes et les femmes. Je ne crois pas que le malaise lié aux émotions intimes soit réservé aux femmes ou à l’Orient."
Amal prétend ne pas avoir voulu témoigner de façon plus particulière des difficultés inhérentes à sa culture: "Ce travail ne porte pas spécifiquement sur les femmes dans une société musulmane. Il s’applique à cette question plus large, à savoir à quel point les humains sont-ils le reflet de leur propre société? Les gens expérimentent les solutions et les problèmes dans leur société, et je me concentre sur la manière dont ils ressentent et répandent ces solutions et problèmes."
Sur scène, on voit une femme qui coud une robe de mariée. Grâce à des projections, on aperçoit aux murs les images qui se forment aux confins du renoncement et de l’attachement. Peu à peu, on entre dans l’intimité de cette femme et on ressent les résonances de ses pensées. "Il y a quelques années, une expérience personnelle m’a marquée. À ce moment-là, je ne travaillais plus depuis deux ans et je tenais un journal. Avec le passage du temps, ce journal est devenu un espace privé dans lequel j’arrivais à repousser les frontières fuyantes entre la réalité et les souvenirs. Plus tard, j’ai utilisé la dimension poétique de ce journal pour point de départ afin de créer une narration visuelle qui est devenue le véhicule pour communiquer mes émotions et les contradictions qu’elles peuvent contenir."
Du 26 au 29 mai
Au Théâtre Prospero
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