Francis Ducharme : Prince charmant
Scène

Francis Ducharme : Prince charmant

Ces jours-ci, Francis Ducharme est engagé corps et âme dans trois différentes productions: une stimulante création, une remarquable pièce jeune public et un happening chorégraphique des plus audacieux. Rencontre avec un jeune acteur dont la polyvalence n’a d’égale que le talent.

Francis Ducharme est tout juste diplômé de l’Option-théâtre du collège Lionel-Groulx lorsqu’une production du Nouveau Théâtre Expérimental, Aphrodite en 04, révèle l’ampleur de son talent. Dans la peau de Max, le personnage principal de cette pièce d’Évelyne de la Chenelière mise en scène par Jacques L’Heureux, l’acteur offre un jeu habité, une présence que le public et la critique remarquent aussitôt. Depuis, le comédien fut Rimbaud dans Carnet de damnés, Sébastien dans Cérémonials et Marc dans L’Héritière de Grande-Ourse, pour ne nommer que ceux-là. Le moins que l’on puisse dire, c’est que son charme opère.

"Je suis très content de l’intérêt que l’on me porte, avoue-t-il, mais ça me surprend. Ça va tellement vite, ça ne fait même pas deux ans que je suis sorti de l’école." Il faut ajouter que le jeune homme n’a pas seulement la chance de décrocher des emplois à sa mesure, il a également le mérite de susciter l’intérêt de créateurs aux esthétiques bien distinctes. Ces jours-ci, Francis Ducharme cumule trois personnages, trois rôles en or. D’abord, il incarne Simon dans Le Traitement, une pièce-choc du britannique Martin Crimp dont Claude Poissant, directeur du Théâtre PàP, assure la mise en scène. Ensuite, toujours dans le cadre du FTA, il est l’un des quatorze protagonistes de La Pornographie des âmes, une œuvre chorégraphique signée Dave St-Pierre. Finalement, à la Maison Théâtre, il endosse les habits de Timothée dans Le Pays des genoux, un texte poignant de Geneviève Billette dirigé par Gervais Gaudreault, codirecteur du Carrousel. "Au départ, je me suis demandé si j’allais réussir à tout faire en même temps, déclare celui qui devra donner jusqu’à trois représentations dans la même journée. Comme ce sont trois projets qui m’animent énormément, j’ai décidé d’essayer de voir si ça se pouvait." Loin de paraître anxieux devant l’ampleur de l’entreprise, le comédien y voit plutôt un stimulant défi. "J’aime beaucoup l’idée de repousser mes limites, déclare-t-il. Je suis avide de création et j’ai envie de faire plusieurs trucs différents. Je suis jeune: s’il y a un moment où je peux faire ça, c’est bien maintenant. Cette espèce de marathon, c’est un test, une expérience que je fais."

Heureusement pour le comédien, seul un des trois spectacles auxquels il prend part en est à ses premiers balbutiements. Créé en janvier dernier, Le Pays des genoux a déjà bénéficié de trois mois de tournée en France avant d’être offert aux jeunes spectateurs de la Maison Théâtre. "Ce qui m’a donné le goût de faire ce spectacle, c’est le texte de Geneviève, explique Ducharme. Je voulais jouer ça! Il y a là une parole, quelque chose à dire aux enfants. Il s’agit d’un texte sur la désobéissance. Parler de désobéissance à des enfants, c’est incroyable, et d’une façon aussi brillante, c’est merveilleux."

En ce qui concerne La Pornographie des âmes, il s’agit d’un véritable success-story. Depuis sa création à Tangente en avril 2004, la charge chorégraphique de Dave St-Pierre a repris l’affiche quatre fois à Montréal, en plus de quelques passages à l’étranger. "Je suis très fier de travailler pour un tel artiste, déclare le comédien dont la fascination pour le langage corporel est notoire. Le mouvement, et surtout le fait d’aller loin dans le mouvement, m’emballe vraiment. La Pornographie des âmes est un spectacle très exigeant d’un point de vue physique, je suis content de terminer avec lui."

TRAITEMENT DE CHOC

Pour parler franchement, c’est bien davantage l’instable Simon, le personnage qu’il incarne dans Le Traitement, qui monopolise les énergies du comédien. "Je ne veux pas dire que les deux autres personnages ont atteint leur finalité, explique Ducharme, mais Simon continue d’évoluer, alors je lui accorde beaucoup de temps." Cette disponibilité semble constituer l’une des plus grandes qualités du jeune interprète. "Francis garde en lui toutes les traces qu’on y laisse, déclare Claude Poissant. Chez lui, tout s’exprime, l’enfant, l’ado et l’adulte, sans censure ni jugement. Il comprend que le métier d’acteur se fait en accueillant tout apprentissage et en étant généreux de ce qu’on porte en soi. Bien qu’il travaille beaucoup (et parce qu’il travaille beaucoup), il est d’une rigueur indiscutable. Francis dévore la vie (la vie: le sang de l’acteur). Comme sa grande ouverture d’esprit se "colletaille" à son esprit critique, ça donne un acteur qui réfléchit beaucoup à comment jouer… mais jamais en jouant."

Créé en 1993 au Royal Court Theatre de Londres, Le Traitement raconte l’histoire de Jennifer et Andrew, deux producteurs de cinéma qui s’emparent du vécu d’Anne, une jeune femme abusée par son mari, pour en faire ce qu’ils osent nommer de l’art. "Ces gens-là sont éteints, émotionnellement morts et aseptisés, alors qu’Anne a quelque chose de vrai qu’ils veulent saisir, explique le comédien. La pièce parle de la manière dont on utilise l’intimité pour en faire un produit, pour la vider de son sens, de sa richesse. L’écriture de Crimp ne mène jamais là où on s’y attend. Comme dans une tragédie, on sait d’avance que ça va mal finir. Pourtant, il y a un ton cinglant, un humour british absolument cynique." Dans la même foulée, l’acteur avoue qu’il a immédiatement ressenti un coup de foudre pour le personnage de Simon: "Quand Claude m’a téléphoné pour me proposer le rôle, il m’a dit: "J’ai un horrible personnage à te confier." J’étais déjà convaincu!" En effet, Simon est un jeune homme inquiétant, un individu aussi menaçant qu’une bombe à retardement. "C’est un être fragile, instable, imprévisible, autodestructeur et chargé d’une grande violence, explique celui qui l’incarne. On ne sait jamais s’il va embrasser ou frapper. Comme sa femme l’a quitté, il est dans un état de cynisme et de vulnérabilité démesuré. Bien qu’il ne soit présent que dans à peu près cinq scènes, on parle de lui durant toute la pièce." Lorsqu’on interroge Claude Poissant sur les raisons qui l’ont incité à choisir Francis Ducharme pour incarner Simon, il déclare: "Simon a les mêmes forces potentielles que Francis, mais chez Simon elles n’ont pas d’organisation, elles n’ont pas d’équilibre. Simon a perdu le nord que Francis a trouvé. Et Francis doit tous les jours se perdre pour trouver Simon."

L’emploi du temps de Francis Ducharme ne semble pas près de s’alléger. Il tient un petit rôle dans C.R.A.Z.Y., le film de Jean-Marc Vallée qui vient de prendre l’affiche. De son propre aveu, le personnage qu’il y incarne est "une espèce de John Travolta qui danse le mambo". Cet été, il devrait suivre La Pornographie des âmes à Amsterdam et en Autriche. Au cours de la prochaine saison, en plus de la reprise du Traitement, il jouera aux côtés d’Éric Paulhus et Isabelle Roy dans Meurtre hors champ d’Eugène Durif, une production du Théâtre de l’Opsis présentée à l’Espace GO. Comblé, le comédien parvient malgré tout à garder les pieds sur terre: "Ce sont des spectacles qui m’interpellent directement, que je ne défends même pas, tellement je les porte, tellement j’en suis fier. Je ne perds pas de vue qu’il s’agit d’un privilège incroyable. Je réalise à quel point je suis gâté."

Le Pays des genoux
Du 18 mai au 5 juin
À la Maison Théâtre

Le Traitement
Du 27 au 30 mai
À l’Espace GO

La Pornographie des âmes
Du 4 au 7 juin
À la Cinquième salle de la Place des Arts