Les Trois sours : Trois fois passera
Les Trois sœurs de Wajdi Mouawad ou comment galvaniser un chef-d’œuvre tchékhovien…
Si les Montréalais espèrent depuis longtemps pouvoir apprécier la version revue et corrigée par Wajdi Mouawad des Trois sœurs de Tchekhov, leur attente n’aura pas été vaine. En effet, leur patience est amplement récompensée ces jours-ci, alors que le pétillant spectacle créé par le Trident en 2002 prend l’affiche du Théâtre du Nouveau Monde.
Rappelons tout d’abord que l’audacieux Cycle Tchekhov du Théâtre de l’Opsis avait ouvert la voie à une réinterprétation aussi iconoclaste que celle de Mouawad. Sans jamais pervertir l’un des chefs-d’œuvre de la littérature dramatique russe; sans jamais tordre le sens d’un texte écrit à l’aube du XXe siècle pour l’entendre, à tout prix, parler de notre époque, cette mise en scène administre à la langueur tchékhovienne un coup de fouet fort bénéfique. L’ancien directeur du Quat’Sous aurait-il choisi d’écouter les recommandations de Tchekhov? Quoi qu’il en soit, le créateur d’origine libanaise exauce les vœux de l’auteur en montant sa pièce, non comme un drame, mais plutôt à la manière d’une comédie, voire d’un vaudeville. En affichant ostensiblement son caractère théâtral, le spectacle se joue des conventions avec un plaisir communicatif. En accueillant l’humour, en frôlant la caricature, la représentation plonge encore plus fermement dans le tragique. En révéler davantage risquerait de vous priver de certaines des plus belles inventions de la soirée.
La scénographe Isabelle Larivière campe les quatre actes dans un lieu de passage, une zone de transition. Dans ce débarras, les masques tombent, inévitablement. Empruntant une porte battante, les personnages vont et viennent, entrent et sortent en se lançant, sur scène comme en coulisse, d’incessantes invectives. Sous la houlette de Mouawad, le manège tchékhovien tourne à plein régime. Au son de musiques dont l’incongruité déclenche le rire, les protagonistes, imbibés de vodka, chutent, sautent, dansent et culbutent. Chorégraphique, le spectacle l’est dans ses moindres détails, dans la frénésie collective comme dans la douloureuse intimité. De toute beauté, les éclairages d’Éric Champoux finissent même par arracher des larmes. Les acteurs, tous excellents, sont les premiers à donner à cette ronde essoufflante son impulsion. Parmi eux, Nancy Bernier campe une Natacha particulièrement désopilante; Jean-Jacqui Boutet, un Andreï veule à souhait; Vincent Champoux, un Koulyguine irrésistible et Steve Laplante semble né pour jouer Tousenbach. Alors que Marie Gignac teinte sa Macha d’un amalgame troublant de tristesse et de naïveté, Benoît Gouin impose un Verchinine aussi lâche que séduisant.
L’attente y est peut-être pour quelque chose, mais après avoir vu ce Tchekhov délicieusement tragi-comique, on ne peut s’empêcher de penser que la relecture de Mouawad mérite non seulement les récompenses qu’elle a reçues, mais qu’elle est digne de tenir l’affiche pour de nombreuses années encore.
Jusqu’au 4 juin
Au Théâtre du Nouveau Monde
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