Viviane De Muynck : Maîtres flamands
Scène

Viviane De Muynck : Maîtres flamands

Viviane De Muynck est au cœur de La Chambre d’Isabella, une exaltante création du Flamand Jan Lauwers présentée dans le cadre du FTA. Rencontre avec une authentique muse.

Immense, plantureuse, follement géniale, indépassable, prodigieuse: ce sont quelques-uns des qualificatifs employés par la critique pour tenter de circonscrire le talent inouï et l’étonnante présence scénique de la Flamande Viviane De Muynck. Complice de la Needcompany de Bruxelles depuis maintenant dix ans, la comédienne est pourtant passée tout près d’une vie bien rangée. En effet, il y a 25 ans elle abandonnait ses fonctions de secrétaire de direction pour se consacrer à la scène. À 58 ans, Viviane De Muynck est considérée comme la muse de Jan Lauwers, l’un des créateurs flamands les plus audacieux de l’heure.

Imaginant les frictions les plus fructueuses qui soient entre la danse, la musique, le théâtre et l’image vidéo, Jan Lauwers procède depuis une vingtaine d’années à l’édification d’une œuvre d’art totale. Il s’agit d’un objectif ambitieux, certes, mais pas tout à fait surprenant quand on sait que l’homme est diplômé des Beaux-Arts et qu’il approche la scène en plasticien. Libre, affranchi de tout académisme, il dessine avec les corps, trace des lignes sur la toile vierge d’un plateau immaculé. Après plusieurs spectacles traduisant une vision pessimiste de l’existence – notamment quelques-unes des plus sombres tragédies de Shakespeare -, le créateur se tourne graduellement vers une représentation plus sereine. L’an dernier, dans le cadre du Festival d’Avignon, Jan Lauwers créait La Chambre d’Isabella, une "comédie musicale et tragique" inspirée par son père, un médecin tropical, et la somme d’objets africains, précolombiens et égyptiens qu’il lui légua avant de mourir. Sur une scène transformée en un fabuleux musée, entourée des souvenirs d’un père qu’elle n’a pas connu, Isabella, nonagénaire et aveugle, raconte son histoire. Au bout du fil, Viviane De Muynck compare son personnage à un pendant féminin de Zorba le Grec: "Elle dit qu’il ne faut pas perdre goût à la vie, savoir rire de nos malheurs, accepter ce qu’on ne peut changer et surtout, ne pas avoir honte d’appartenir aux survivants. Nous avons le droit de danser sur les tombes de ceux qui nous ont précédés."

VOIX MULTIPLES

Pour aider Isabella à revisiter une histoire personnelle pleine de douloureuses disparitions, acteurs, danseurs et musiciens y vont de leurs langages. "On ne chante plus pour souligner les grands drames et les grands bonheurs, déplore De Muynck. Chanter en communauté est un rituel qui n’existe plus dans la vie occidentale moderne. Pourtant, le chant et la musique sont des moyens de représenter une certaine abstraction, ils offrent une voie directe vers l’émotion." De même, la danse exprime des réalités qu’elle seule peut saisir. "Les hémisphères gauche et droit du cerveau d’Isabella sont incarnés par des danseuses, révèle la comédienne. Cela permet de s’approcher de la vérité en donnant accès aux discussions que le personnage entretient avec lui-même." La sérénité du personnage s’apparente grandement à celle de l’actrice de 58 ans qui lui prête vie. "Au cours des deux dernières années, j’ai appris à vieillir, confie-t-elle. Je réalise que ma vie est une traversée importante. Ces expériences me permettent de transmettre au public toutes les étapes de la vie d’une femme comme Isabella." Lucide, de Muynck semble bien connaître les limites et les béatitudes de son métier. "Nous ne sommes que des artistes, lance-t-elle. Nous pouvons dessiner un monde, mais nous ne pouvons le rectifier. Nous n’avons pas de réponses définitives, mais nous pouvons partager nos idées, toucher les gens au plus profond de leur âme."

Du 31 mai au 3 juin
À l’Usine C

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