Stéphanie Jasmin : Bouche bée
Scène

Stéphanie Jasmin : Bouche bée

Avec Ombres, Stéphanie Jasmin signe et met en scène un premier texte traitant de l’exil chez l’écrivain. Rencontre avec la complice du metteur en scène Denis Marleau.

Voilà bientôt six ans que Stéphanie Jasmin assiste Denis Marleau au sein de la compagnie Ubu. Une pratique qui l’aura poussée à mettre en forme des préoccupations qui lui sont propres. "Dans mon travail, j’ai fréquenté des dramaturgies qui m’ont beaucoup touchée, explique-t-elle. Mes lectures tournaient autour d’auteurs qui ont traversé une partie du XXe siècle en étant pris avec l’histoire de leur temps et qui ont écrit des correspondances. J’étais bouleversée par cette capacité à raconter sans pathos, avec parfois un humour noir mais aussi avec beaucoup de tendresse. Je sais que ça peut paraître étonnant de savoir que je me sens concernée par une situation que je ne connais pas dans ma société. Mais ces témoignages tissent un lien avec nous, ils nous permettent de comprendre ce qui s’est passé autrement que par la lecture objective de l’Histoire."

De ses réflexions émerge alors Ombres, une pièce à deux voix où un couple formule et reformule le désarroi qu’entraîne la perte des mots. "J’ai pensé à la plus petite cellule qu’on peut trouver, un couple qui vit un amour absolu que le monde extérieur vient faire imploser en y amenant des questionnements sur la peur, l’impossibilité de continuer à créer ou de continuer malgré tout, différemment. Alors, j’ai écrit l’histoire fragmentaire de cet homme et de cette femme, génériques, qui doivent toujours se positionner malgré eux. J’ai joué avec des icônes qui seront au théâtre réellement incarnées par la sensibilité de Paul Savoie et Annick Bergeron."

L’auteure signe d’ailleurs un texte où les mots ont des allures de motifs poétiques. "Les mots sont la concrétisation de leur lien, ils deviennent le véhicule qui comporte tout entre eux, à la fois leur rapport à la création et la prise de parole l’un envers l’autre. J’aimais aussi l’idée de deux personnages qui parlent dans une temporalité qui est difficile à cerner, peut-être celle d’une mémoire composite qui revient. La notion de transmission par les mots a certainement nourri mon écriture."

Jasmin ne nie pas que sa formation aux beaux-arts et en cinéma a ici une incidence sur ses choix artistiques. "Cette pièce tient probablement plus du poème scénique que de la pièce plus classique. Et ce que je vois tient plus du tableau que d’un espace scénique, analyse-t-elle. Mais c’est tout l’intérêt du théâtre que de permettre ces contributions. Je me suis donc inspirée des tableaux de la Renaissance, où les gens sont divisés chacun dans leur cadre alors que c’est le même fond qui est derrière. Il y avait quelque chose que je trouvais intéressant dans le fait de placer les icônes chacune dans leur niche. Elles n’appartiennent plus à la représentation d’un événement précis mais elles appartiennent à un espace autre."

Stéphanie Jasmin, également codirectrice artistique de la compagnie Ubu, reconnaît qu’elle y a fait école. "Après avoir été impliquée à tous les niveaux de création des œuvres de la compagnie, j’avais certaines clés pour entrer dans ce travail-là. Mais c’est toujours plus facile d’être dans la position du conseiller ou du questionneur que d’être celle qui fait les choix. Je le fais à mon échelle, nourrie certainement de mon expérience d’une façon très forte. Mais cette pièce est quand même liée à une démarche personnelle que je tente justement de préciser ici."

Jusqu’au 18 juin
À Espace Libre

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