Festival de Théâtre des Amériques : L'heure des bilans
Scène

Festival de Théâtre des Amériques : L’heure des bilans

Le 11e Festival de Théâtre des Amériques fut riche en dépaysements. Retour sur huit des treize spectacles de la programmation principale.

Denis Marleau ouvrait le bal avec Nous étions assis sur le rivage du monde…, un texte du Franco-Béninois José Pliya. Dans un environnement aussi beau et irréel qu’une carte postale, une femme retrouve la plage de son enfance. D’abord, un homme prétend que ce domaine est dorénavant "privé, réservé, inaccessible". Puis, fatalement, la véritable cause du rejet finit par résonner: "Vous n’avez pas la bonne couleur de peau." Avec ses déplacements étudiés et sa gestuelle élaborée, l’affrontement témoigne d’une incontestable maîtrise stylistique. Pourtant, il faut admettre que la représentation s’y prend d’une manière bien rhétorique pour nous faire entrevoir le gouffre immense qui sépare les peuples.

Spectacle supervisé par Benoît Lachambre, 100 Rencontres est une vaste installation où une quinzaine de performeurs juxtaposent des modules à vocation plus ou moins interactive. Malgré ses balançoires à néon, ses sombres alcôves et ses multiples projections vidéo, l’environnement demeure immaculé et esthétisant. Ironiquement, le concept de "rencontre" semble cruellement absent d’une manifestation qui lui est, rappelons-le, dédiée. Plutôt que d’être abattues, les sempiternelles barrières entre le performeur et le spectateur paraissent ici reconduites.

À l’Espace GO, Claude Poissant se mesurait au Traitement, une fine et virulente critique sociale du dramaturge britannique Martin Crimp. Sous sa houlette, la représentation embrasse, avec la même ardeur, le tragique et le comique, la gravité et la caricature. Dans un espace polysémique énonçant sa propre théâtralité, les neuf comédiens imposent toute la complexité de leurs personnages. Leurs déplacements sont fluides; et les corps, guidés par Dave St-Pierre, continuellement sous tension. En conduisant à la scène le brillant cynisme de la pièce, sans jamais l’appuyer ou l’alléger indûment, le directeur du Théâtre PàP signe l’une de ses réalisations les plus maîtrisées. À la Place des Arts, Marie Brassard dévoilait les recoins les plus intimes de l’âme humaine en entraînant le spectateur dans son Peepshow. Particulièrement ramifié, ce troisième solo multiplie les personnages et fragmente profondément le récit. Sans présenter la limpidité de ses efforts précédents, ce spectacle, promis à un bel avenir, confirme le talent de la créatrice.

VENUS D’AILLEURS

Au Monument-National, Danio Manfredini défendait Cinema Cielo, sa très libre adaptation du roman de Jean Genet Notre-Dame-des-Fleurs. Si l’ange déchu qu’incarne l’homme de théâtre italien est des plus attachants, il s’avère difficile d’en dire autant de cette galerie de personnages qui dansent, butent et culbutent dans les allées de cet étrange cinéma porno. Impressionnant, le jeu des acteurs – amalgame de frénésie et de misère affective – laisse croire qu’ils sont bien plus nombreux que quatre. Fâcheusement, ce déploiement d’énergie ne s’arrime qu’en de très rares instants à la trame narrative du spectacle, c’est-à-dire au film projeté dans ledit cinéma et dont seuls les dialogues nous sont accessibles.

La Chambre d’Isabella, une création du Belge Jan Lauwers, détenait le titre du moment le plus attendu du festival. Prêtant vie aux pérégrinations bigarrées d’une femme au parcours hors du commun, les neuf acteurs-danseurs offrent quelques scènes touchantes, des rires bien sentis et de belles images. Malgré cela, la représentation ne prend jamais son envol. Les amateurs du théâtre affranchi d’Alain Platel – la comparaison s’avère inévitable – seront assurément restés sur leur faim. Beaucoup plus marquante fut la rencontre avec la démarche d’Alain Françon, actuel directeur du Théâtre National de la Colline. En ce qui concerne e (un roman dit), il faut d’emblée souligner le courage et le talent des acteurs qui prennent la foisonnante épopée de Daniel Danis à bras-le-corps. Bien qu’exigeante – plusieurs spectateurs quittaient la salle en cours de représentation -, la lecture cohérente et inventive de Françon force l’admiration. Appartenant à un tout autre registre, Si ce n’est toi permet au metteur en scène de travailler en véritable horloger. Sous sa houlette, la pièce d’Edward Bond – une implacable allégorie du totalitarisme – est menée avec les envolées du vaudeville, les ambiguïtés de l’absurde et les résonances de la tragédie. Souhaitons que les rigoureuses expéditions théâtrales d’Alain Françon reviennent nous visiter au plus tôt.