Stéphanie Jasmin : Éloge de la lenteur
Scène

Stéphanie Jasmin : Éloge de la lenteur

Stéphanie Jasmin interroge avec Ombres les mots et l’évolution du couple. En filigrane, une trame onirique où se dévoilent la douleur de l’absence et le besoin de dire.

Deux comédiens et deux marionnettes à leur effigie. Un décor sobre, une ambiance sonore et le souffle des phrases qui tente de percer le mur séparant l’homme de la femme. Les deux personnages, incarnés par Annick Bergeron et Paul Savoie, bougent à peine. Mais on ne parle pas d’un jeu statique, au contraire. Toute la pièce, sorte de poème dramatique impressionniste, se lit sur leurs visages qui parlent autant que leurs positions et leurs gestes à peine perceptibles.

Il y a cinq ans, le théâtre UBU, dirigé par Denis Marleau, s’adjoignait Stéphanie Jasmin pour travailler sur les images jaillissant des textes et des tableaux. Avec Ombres, sa première pièce et première mise en scène, Stéphanie Jasmin s’attaque précisément au monde des images et du rythme. Par ses deux personnages, tout un univers s’évoque. Les émotions passent par le grain des mots, par une inflexion de la voix et par des mouvements à peine perceptibles. Le texte invite au départ, à l’exploration des souvenirs qu’éveille ce type de poésie, narrative certes, mais ponctuée de mystères. De ces mystères qui creusent parfois des fossés entre les deux protagonistes, mais qui, surtout, arrivent à créer une bulle malgré le mur qui les sépare. Cette bulle, elle happe le spectateur qui n’est jamais oublié. La pièce est un acte de mémoire, et si les mots se dérobent parfois, elle montre bien leurs empreintes, comme celles de l’ombre de la part manquante.

Dans le mystère se dessinent aussi les blessures et prend racine un concret qui fait mal. Si rien n’est précisément nommé, on sent un vent glacial, sibérien, qui sépare dans la nuance les échanges tentant de se formuler. Sans rien surligner, une violence fraye entre eux, qui porte le poids du monde, qui connaît les effets de l’indifférence, les résonances du silence et la douleur de l’exil. Là, le politique rejoint le poétique et s’incarne un objet théâtral touchant, porté par les comédiens qu’il fallait. On se retrouve devant un état totalitaire qui efface, kidnappe des paroles qui portent. On reste alors avec les mots d’amour en mémoire, ceux qui se répètent par cœur.

Jusqu’au 18 juin
À Espace libre

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