Maxime Denommée : La force de l'âge
Scène

Maxime Denommée : La force de l’âge

Depuis 1999, Maxime Denommée est en quelque sorte en résidence au Théâtre de La Manufacture. En effet, depuis sa sortie du Conservatoire, toutes les saisons ont vu l’acteur fouler la scène de La Licorne. Afin de célébrer les 30 ans de la compagnie et les 25 ans du lieu, Howie le Rookie, l’un des plus grands succès de la maison, reprend l’affiche. Rencontre.

Sept ans après sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, Maxime Denommée possède une feuille de route remarquable, un parcours professionnel florissant où La Licorne fait office de point d’ancrage. "Ce théâtre a une âme, affirme le jeune comédien entre deux gorgées de café. C’est ici que j’ai découvert le pouvoir de l’intimité. La petitesse des lieux permet aux acteurs et aux spectateurs d’être ensemble. Ici, il faut jouer, mais sans en avoir l’air. Ça permet de faire les choses tout en nuances. Dans les salles plus grandes, on ne ressent plus rien après un certain nombre de rangées. C’est important de voir les yeux des acteurs pour tout sentir. Pour moi, c’est vraiment dans les petites salles que ça se passe." Bien qu’il ait œuvré sur de nombreuses scènes montréalaises, ainsi qu’au petit et au grand écran, Denommée n’a jamais cessé d’étoffer les liens qui l’unissent à l’irremplaçable théâtre de l’avenue Papineau. "Je n’ai pas peur d’être associé à un théâtre, déclare-t-il, cela ne m’a jamais empêché de jouer ailleurs." Quoi qu’il en soit, l’endroit semble lui offrir un espace de liberté absolument unique. Certains vont même jusqu’à dire qu’il fait partie de la famille. "Quand on parle de la famille de La Licorne, précise Denommée, on fait référence à la fidélité et à l’amitié. J’ai un sentiment d’appartenance quand j’entre ici, je sens que je suis chez moi, à ma place. C’est un peu comme une petite mafia", ajoute-t-il en éclatant de rire.

Cette année, le Théâtre de La Manufacture célèbre ses 30 ans – et les 25 ans de son espace théâtral – en confirmant son engagement envers la dramaturgie actuelle d’ici et d’ailleurs. Pour ouvrir les festivités, Howie le Rookie, la pièce-choc de l’Irlandais Mark O’Rowe, dirigée en 2002 par Fernand Rainville, effectue son troisième tour de piste. Avant de visiter Ottawa, Jonquière, Mont-Laurier et Mont-Tremblant, Maxime Denommée et Claude Despins prennent d’assaut la scène de La Licorne.

LA RÉVÉLATION

En 1999, l’heure de la révélation est venue pour Maxime Denommée. Fraîchement diplômé, le jeune homme participe à la création de Trick or Treat, une première collaboration avec La Manufacture. Dans la peau de Mike, un adolescent victime de taxage, le comédien est loin de passer inaperçu. Mise en scène par Fernand Rainville, la pièce de Jean Marc Dalpé sera jouée une centaine de fois avant d’être transposée au petit écran. Depuis, l’acteur n’a cessé de cumuler les performances marquantes. Entre les murs de La Licorne, il fut tour à tour Stetko, le soldat désabusé du Monument de Colleen Wagner (2001); Rookie Lee, le voyou attachant d’Howie le Rookie; Simon, le garagiste du Capharnaüm de Charlotte Laurier (2002); et Maxime, l’inénarrable photographe de Cheech (Les hommes de Chrysler sont en ville) de François Létourneau (2003). Ces personnages, pour la plupart de jeunes garçons habités par la révolte, ont, à juste titre, frappé l’imaginaire de nombreux spectateurs.

Maître ès Irlande

Photo: Yannick Macdonald

Après Howie le Rookie, Danser à Lughnasa et Tête première – un baptême de mise en scène qui lui a valu en mars dernier les éloges de la critique et du public -, Denommée est en voie de devenir un expert en matière de dramaturgie irlandaise. Alors, comment explique-t-il que les textes irlandais obtiennent autant d’écho au Québec? "Une partie de la réponse se trouve sûrement dans le fait que nous avons tous deux subi l’emprise de la religion catholique, avance le comédien. Nous avons aussi la résistance en commun. Comme nous, ils font figure de Gaulois."

Howie le Rookie se déroule à Dublin, plus précisément dans le quartier pauvre du North Side, un endroit rêvé pour qui veut fomenter une vendetta. À cause d’une histoire de matelas souillé et de gale contagieuse, Howie Lee (Despins) cherche à se venger de Rookie Lee (Denommée, Masque de l’interprétation masculine en 2003), déjà impliqué dans le meurtre malencontreux de poissons de combat thaïlandais que l’on dit d’une grande valeur. Sous des dehors rocambolesques, la pièce raconte la naissance d’une amitié entre deux hommes que tout opposait. "Ils vont devenir comme le grand et le petit frère", spécifie Denommée.

Au cœur de ces deux monologues réside une poésie à la fois tendre et brutale, un hymne à la rédemption brillamment traduit par Olivier Choinière. "À la lecture, précise le comédien, c’est un texte qui peut faire peur. Il est si cru qu’il peut sembler vulgaire. Au théâtre, incarné, ça passe beaucoup mieux. On voit qu’il y a des humains derrière ça, on comprend que les personnages se cachent derrière une façade. En réalité, l’anecdote ne représente qu’une partie du plaisir. La pièce fait défiler une multitude d’images dans la tête du spectateur, un casse-tête conçu pour le tenir en haleine."

Howie le Rookie
Du 8 septembre au 1er octobre
Au Théâtre La Licorne

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Une histoire inventée

Jean-Denis Leduc, directeur artistique et général du Théâtre de La Manufacture. Photo: Rolline Laporte

Qui, en 1975, aurait pu se douter que le Théâtre de La Manufacture, un collectif issu de la relève, serait, 30 ans plus tard, non seulement encore présent dans le paysage théâtral montréalais, mais l’une des compagnies les plus dynamiques de la Métropole? Joint dans la capitale écossaise, où il assiste à la 59e édition du Festival Fringe d’Édimbourg, Jean-Denis Leduc se remémore le contexte dans lequel La Manufacture a vu le jour: "Le Québec traversait une époque des plus effervescentes. Nous avions le goût de faire des choses nouvelles, de pratiquer un théâtre qui nous ressemble. Nous voulions être libres de développer notre signature."

Depuis sa première saison, la compagnie s’engage à favoriser l’épanouissement d’une nouvelle dramaturgie. Tout en privilégiant la création québécoise, elle offre sa tribune à des auteurs canadiens et étrangers. "Nous voulions d’un théâtre qui parle des enjeux actuels, explique Leduc. Pour ce faire, il fallait découvrir d’autres dramaturgies et ouvrir la porte aux jeunes." En 1981, La Manufacture s’installe sur le boulevard Saint-Laurent, dans un café-théâtre baptisé La Licorne. Très fréquenté, le lieu devient rapidement trop étroit. En 1989, La Licorne déménage avenue Papineau, dans son emplacement actuel, un environnement dont la convivialité est désormais légendaire, un espace où la connexion entre les acteurs et le public atteint une qualité incomparable.

Après toutes ces années à la barre de La Manufacture et de La Licorne, Jean-Denis Leduc semble tout aussi allumé qu’au début de l’aventure. "Je suis toujours heureux parce que je ne cesse de découvrir de nouvelles choses, précise-t-il. Voilà pourquoi il est essentiel que je sois à Édimbourg en ce moment. Il faut demeurer éveillé et s’assurer de ne jamais se répéter." Agrandir La Licorne, tout en lui conservant son caractère intime, voilà qui rendrait l’homme plus heureux encore. "Nous mériterions d’avoir des conditions un peu plus normales, lance-t-il, comme des coulisses, par exemple." Souhaitons que les instances gouvernementales offrent au vénérable théâtre de l’avenue Papineau un cadeau qu’il a bien mérité.