Louise Bombardier : Langue maternelle
Scène

Louise Bombardier : Langue maternelle

Avec sa plus récente pièce, Louise Bombardier se permet d’arpenter les confins de la vie. En toute complicité, Wajdi Mouawad, tombé sous le charme de cette relation crépusculaire entre une mère et sa fille, signe la mise en scène de Ma mère chien.

C’est en 2002, dans le cadre du PàP sans cérémonie – de précieux laboratoires-lectures orchestrés par Claude Poissant et l’équipe du Théâtre PàP -, que la comédienne et dramaturge Louise Bombardier a pu mettre Ma mère chien à l’épreuve pour la première fois. Ces jours-ci, c’est-à-dire trois ans et huit versions plus tard, la pièce se voit enfin créée entre les murs du Théâtre d’Aujourd’hui.

Pour livrer cette troublante oraison funèbre à la scène, Wajdi Mouawad était le passeur tout désigné. "Lorsqu’il m’a téléphoné, se rappelle Louise Bombardier, je m’apprêtais à monter la pièce moi-même. Il m’a dit, avec passion et enthousiasme: "C’est un coup de foudre, je n’ai jamais fait ça de ma vie, mais je veux la monter absolument! J’ai peur, et comme j’aime aller où j’ai peur, j’y vais!"" Une véritable rencontre s’est produite alors, une complicité que la dramaturge et comédienne n’avait pas soupçonnée: "Je me suis rendu compte que nous avions un langage commun: les rêves, la mythologie, la mort, la violence souterraine. Mon écriture, que je qualifierais d’impressionniste, n’avait rien d’étrange pour lui; alors que cette poésie, ces rêves et cette psychanalyse effraient la majorité des gens."

Ma mère chien raconte l’histoire d’une mère qui meurt (Anne Caron) et d’une fille qui veille (Markita Boies), en attendant que sa sœur cadette (Julie Vincent) revienne de l’étranger. Pourtant, une fois qu’on a dit cela, on n’a encore rien dit de l’essentiel de ce qui se trame dans cette chambre d’hôpital visitée par de mystérieux personnages (des rôles endossés par Robert Lalonde et Patricia Nolin). Au cours de ces 36 heures d’agonie, le rêve et la réalité, le présent et le passé vont se tisser d’une manière indicible. "Quiconque a déjà veillé un mort sait que le temps se télescope, que les rôles se renversent, explique Bombardier. Il y a la morphine, le sommeil, le cauchemar, le réveil. C’est incroyable, ce que ça fait. À 49 ans, j’ai compris, grâce à la mort, ce qu’était la réalité. C’est tellement immense qu’il me fallait témoigner de cela. En Amérique, nous avons si peur de ces états, nous les occultons tellement que j’ai voulu aller dedans."

CATHARSIS

La rédaction de cette pièce fut entreprise dans le but avoué d’apaiser la douleur, celle entraînée par la disparition d’une mère avec qui la créatrice entretenait une relation particulièrement tendue. Forcément, le résultat recèle une charge cathartique peu commune. Dans un premier temps pour son auteure, mais ensuite pour celles et ceux qui s’exposent à l’œuvre. "J’éprouvais de la pudeur à dire des choses très intimes, avoue Bombardier. Puis, je me suis rendu compte que les choses les plus intimes sont souvent les plus universelles. Il y a un rituel réparateur dans la pièce. On va de la violence à l’apaisement. Avec les années, je suis passée par-dessus la violence initiale. Avec la distance, la douleur s’est estompée. C’est ainsi que le sujet a pu accéder à la fiction." La dramaturge ne ressent pas d’autres ambitions que celle de s’adresser au plus grand nombre. "J’ai le goût que la pièce parle à beaucoup de sortes de gens, et pour ça, il a fallu laisser un espace pour les émotions du spectateur. On ne peut pas échapper au fait qu’on raconte la mort d’une mère, mais on essaie d’y mettre le plus de lumière possible. Autour de la chambre de la mort, au-delà de ce rituel, il y a beaucoup de ludisme et de tendresse. Plus c’est simple, plus la douleur est supportable."

Cette pièce, Louise Bombardier ne l’aurait pas confiée à n’importe qui. Malgré une nature de son propre aveu angoissée et inquiète, elle se sent rassurée de savoir Wajdi Mouawad à la barre de cette création. "La pièce est exigeante. Elle demande beaucoup de confiance. Il y a si peu d’anecdotes qu’il faut inventer à chaque seconde. Avec son sens du sacré, Wajdi était la personne idéale. Nous négocions très bien parce que nous pensons la même chose de cet objet." Les comédiens et comédiennes – dont certains suivent le projet depuis sa naissance – sont aussi pour beaucoup dans la relative sérénité de l’auteure. "J’ai une équipe d’élite, des créateurs qui sont totalement en accord avec la matière, des interprètes qui jouent sans filet. Savoir que j’ai une bonne famille d’accueil, c’est une angoisse de moins."

Jusqu’au 8 octobre
Au Théâtre d’Aujourd’hui
Voir calendrier Théâtre