Fairy queen : Déjeuner-causerie
Le Français Ludovic Lagarde assure la mise en scène de Fairy queen, un texte de son complice et compatriote, le poète Olivier Cadiot.
À l’automne 2000, l’Espace Go recevait Le Colonel des Zouaves, un monologue aussi réjouissant qu’atypique. Signé par un implacable tandem de créateurs français, celui formé par le metteur en scène Ludovic Lagarde et l’écrivain Olivier Cadiot, le spectacle a récolté, ici comme dans l’Hexagone (où il est encore représenté), les hommages mérités du public et de la critique. Avec sa lucidité, son humour, son cynisme et son brillant enrobage électroacoustique, cette œuvre a transmis aux spectateurs montréalais une décharge électrique des plus salutaires. Ces jours-ci, toujours entre les murs de l’Espace Go, le duo est de retour pour offrir le fruit de sa plus récente collaboration. Après une création remarquée dans le cadre du Festival d’Avignon en 2004, un passage au Théâtre de la Colline à Paris au printemps dernier et avant d’être présenté à New York, Fairy queen s’arrête à Montréal pour 22 représentations.
Depuis 1993, les deux artistes n’ont pour ainsi dire jamais cessé d’unir leurs voix. Sans pour autant freiner leurs carrières solos, ils ont édifié ensemble une œuvre exceptionnellement riche. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’homme de théâtre offre aux ouvrages à contre-courant du poète un fabuleux porte-voix. "Olivier Cadiot ne s’inscrit pas du tout dans la mouvance de l’autofiction, considère le metteur en scène, il se démarque énormément de ces écritures assez peu élaborées qui sont devenues une véritable industrie en France. Pour lire son époque, il faut un écart, une distance. Je me reconnais complètement dans la manière dont Olivier décolle du réel pour mieux le renvoyer. C’est aussi comme ça que je conçois le théâtre. Si on ne part pas loin dans un monde artificiel, on ne peut espérer produire des chocs, des émerveillements et des états de compréhension."
CONTE DE FÉES
Fairy queen entraîne le spectateur au 27, rue de Fleurus, à Paris, dans le premier tiers du XXe siècle. Dans cet appartement logent la poète juive américaine Gertrude Stein et sa compagne – mais aussi secrétaire, masseuse, cuisinière et souffre-douleur -, Alice B. Toklas. Entre ces murs, l’écrivaine tient des salons qui sont fréquentés par plusieurs des artistes de l’avant-garde: Matisse, Picasso, Fitzgerald, Hemingway… Durant cette période, elle écrit, souvent dans un style inspiré par le cubisme, poèmes, pièces, portraits et manifestes. Décédée en 1946, Gertrude Stein a su mettre sens dessus dessous les conventions de la langue et les distinctions entre les genres. Son influence fut considérable.
Grâce à l’imaginaire débridé d’Olivier Cadiot, une fée-poète quitte le XXIe siècle pour déjeuner chez Gertrude et Alice. "Cette fée, lance Lagarde, c’est la fée-littérature, la fée-poème, une jeune artiste d’aujourd’hui ou de demain, parachutée au début du XX e, là où s’invente la modernité." Comme tous ceux et celles qui souhaitent pénétrer le cénacle de la grande prêtresse, la reine des fées doit se soumettre à une épreuve de séduction en bonne et due forme. On espérait qu’elle offre une source de divertissement; or elle déclenche un véritable feu d’artifice. De cette performance haute en couleur – un intarissable plaidoyer où s’entrechoquent les courants et les sujets les plus divers -, la fée émergera radicalement transformée. "Olivier avait besoin de faire passer sa fée dans une sorte de machine à laver, précise le metteur en scène, une situation d’où elle ressorte changée. C’est ainsi que Fairy queen pose la question du siècle. Autrement dit, comment sortir de la postmodernité?"
Pour endosser ces figures plus grandes que nature, le metteur en scène a fait appel à des acteurs hors pair, un trio éprouvé en 2002 lors de la création théâtrale de Retour définitif et durable de l’être aimé, un autre texte de Cadiot. Tandis que Philippe Duquesne prête ses traits à Gertrude Stein, le virtuose Laurent Poitrenaux (qui défendait Le Colonel des Zouaves) enfile la robe d’Alice B. Toklas et Valérie Dashwood, les atours virevoltants de la fée. Précisons que, partout où la compagnie fait escale, des comédiens de l’endroit sont engagés pour personnifier les visiteurs de l’écrivaine. Ainsi, Sylvie de Morais-Nogueira, Ève Gadouas, Guillaume Girard, Marc-Antoine Larche, Jade Léveillée, Ève Presseault et Guillaume Tellier, de jeunes acteurs fraîchement sortis des écoles québécoises, incarneront chez nous la faune bigarrée du salon.
Du 4 au 29 octobre
À l’Espace Go
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