Turcs gobeurs d’opium : Sombre tableau
Les Turcs gobeurs d’opium se sont donné pour mission de raconter des histoires mystifiantes à la population. Ils atteignent la cible avec leur nouvelle production, Les Bâtisseurs d’empire.
Pas de doute: on sort mystifié de la représentation des Bâtisseurs d’empire. Et même sonné et troublé. Comme nous avons découvert cette pièce de Boris Vian avec les Turcs, il nous est difficile de mesurer la part d’interprétation qu’ils en ont faite. Mais la production propose plusieurs niveaux d’analyse et offre matière à réfléchir.
L’histoire est celle d’une famille de bourgeois enfermée dans un immeuble pour échapper à la montée d’un nouvel empire construit par le peuple opprimé. Chaque fois que les envahisseurs se font entendre, la famille monte d’un étage. Cette fuite vers nulle part la mènera à sa perte.
Même s’ils n’en sont qu’à leur deuxième production, Les Turcs gobeurs d’opium ont le secret des images fortes et dérangeantes. Au lever du rideau, le spectateur est happé par le premier tableau orchestré par le metteur en scène André Gélineau. Plutôt que de glisser dans l’univers d’une famille bourgeoise, on a l’impression de pénétrer dans un local de réunion nazie, où des icônes religieuses font figure de décor. Un homme (Philippe Leclerc, impeccable) est crucifié au milieu du salon. Le père (Alexandre Leclerc, très juste) décharge sa hargne sur le malheureux. L’ambiance étouffante ne fera que s’amplifier tout au long de la pièce. La musique, aux tonalités inquiétantes interprétées à l’orgue, ajoute au climat d’angoisse. Chaque fois que le nouvel empire se manifeste, le public sursaute, lui qui se verra même interpelé par ces bâtisseurs. À travers leurs bruits se fait entendre la voix magnifique de Marie-Claude Élias.
Les Turcs ont opté pour un casting étonnant. Même s’il est admirablement bien vieilli et même s’il possède le talent et la maturité nécessaires pour incarner un homme d’âge mur, Alexandre Leclerc forme un bien drôle de couple avec Sylvie Potvin, plus âgée et plus costaude que lui. Véronique Laroche aurait gagné à utiliser un accent moins barbare, qui aurait permis de mieux comprendre ses répliques.
Mais en cette époque où l’"empire américain" semble de plus en plus fragile et où la notion de famille se redéfinit sans cesse, les Turcs gobeurs d’opium nous servent une pièce sombre, certes, mais d’actualité, même si elle a été écrite en 1957.
Le 30 septembre et le 1er octobre
À la Salle Desjardins du Théâtre Léonard-Saint-Laurent
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