Éric Jean : Libéré sur parole
Scène

Éric Jean : Libéré sur parole

Éric Jean ouvre sa première saison au Quat’Sous en adaptant Une Ardente Patience, le roman du Chilien Antonio Skarmeta qui a aussi inspiré le long métrage Il Postino.

S’il se trouve un territoire de l’imaginaire à l’égard duquel Éric Jean, metteur en scène et directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous, ne peut cacher sa profonde attirance, c’est bien celui qui est arpenté par les créateurs sud-américains. Ses spectacles en sont pétris. Ses choix en sont teintés. Tout, jusqu’à la manière dont il entrevoit le théâtre qu’il dirige depuis peu – "un lieu où se côtoient l’imagination, l’humanité, le rêve et la folie" -, révèle ses affinités avec les univers flamboyants de Garcia Marquez, Borges et les autres. "Il s’agit d’un goût plutôt instinctif, précise le metteur en scène. On ne peut pas toujours expliquer ce que l’on aime. Les auteurs sud-américains mélangent facilement le rêve et la réalité, un réalisme magique qui me parle beaucoup. À leur manière, j’aime partir de choses réelles pour les transformer, pour les rendre surréelles."

Ces jours-ci, Éric Jean est plus que jamais plongé dans ses amours sud-américaines. En effet, peu de temps avant de s’envoler pour le Mexique, où il peaufinera une création dont la première doit avoir lieu le 28 octobre, le metteur en scène dévoile aux Montréalais Une Ardente Patience. Créé cet été au Théâtre du Bic, en coproduction avec le Théâtre Les Gens d’en bas, ce spectacle s’appuie sur un roman de l’écrivain chilien Antonio Skarmeta, celui-là même qui, en 1994, inspira au cinéaste Michael Radford le long métrage Il Postino. "Je n’ai pas beaucoup aimé le film, confesse le metteur en scène. L’adaptation qu’a réalisée Olivier Kemeid est beaucoup plus proche du roman. Avec ses histoires personnelles, amoureuses, politiques et sociales, l’œuvre est déjà forte et complète."

Rappelons l’intrigue. Au cœur de l’île Noire, Pablo Neruda (Jack Robitaille) se lie d’amitié avec son facteur, Mario Jimenez (Vincent-Guillaume Otis). Pour séduire la belle Beatriz (Éveline Gélinas), le jeune homme fait appel au savoir du poète. Autour d’eux s’agitent Rosa (Dominique Quesnel), la mère de Beatriz, Domingo (Alexis Lefebvre), l’ami de Mario, et Cosmé (Jocelyn Blanchard), son patron. Pendant que cet amour s’épanouit, le Chili traverse l’une des plus terribles crises politiques de son histoire. Deux réalités qui se répondent, s’éclairent mutuellement, notamment dans la manière dont le poétique et le politique s’avèrent solidaires. "Ce roman fait réaliser à quel point la poésie peut constituer un pouvoir politique, explique Jean. Pour Neruda, ce sont deux choses étroitement liées."

Élu à la présidence en 1970, Salvador Allende veut transformer, de manière pacifique, les structures de son pays et le libérer de l’emprise économique des États-Unis. Le 11 septembre 1973, Augusto Pinochet prend le pouvoir grâce à un coup d’État. Allende est retrouvé mort et des milliers de militants sont emprisonnés, torturés et exécutés. À l’époque, le monde entier est choqué. Aujourd’hui, le 11 septembre 2001 a presque totalement occulté celui de 1973. "Il est important de reparler de ce 11 septembre-là, défend le metteur en scène. Il y a tellement de Chiliens au Québec. Personnellement, j’ai besoin de comprendre pourquoi ils ont perdu leur pays. C’est ce qui m’a poussé à programmer la pièce." Donnant le coup d’envoi à une saison qu’il endosse pleinement, la première qu’il ait entièrement imaginée, Éric Jean semble plus à l’aise que jamais. "Cette année, dit-il, je me sens vraiment aux commandes du théâtre. Je commence à me permettre de penser à des projets plus originaux. Après tout, si j’ai accepté d’être directeur, c’est pour bénéficier d’une certaine liberté. Sinon, je ne serais pas là, je ferais autre chose."

Jusqu’au 12 novembre
Au Théâtre de Quat’Sous
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