Le Doux Parfum du vide : Mange-moi
Scène

Le Doux Parfum du vide : Mange-moi

Dans Le Doux Parfum du vide, les êtres humains se font reluquer non pas par attirance sexuelle ou charnelle, mais plutôt pour la généreuse ou tendre portion de viande qu’ils représentent. Rencontre avec le disséqueur de proies, le metteur en scène et dramaturge Robert Bellefeuille.

Le directeur artistique et membre fondateur du Théâtre de la Vieille 17 Robert Bellefeuille a connu le jeune auteur Pascal Lafond alors qu’il se trouvait encore sur les bancs de son École nationale de théâtre du Canada. Le Doux Parfum du vide était son "texte de sortie". Robert Bellefeuille en a été le conseiller dramaturgique, avant de le créer au Festival de théâtre des Amériques (FTA) le printemps dernier. "J’ai tout de suite remarqué qu’il avait le sens de la réplique, qu’il avait un humour féroce, incisif, mais qu’il était aussi très intéressé par la société d’aujourd’hui. De là vient Le Doux Parfum du vide, qui est un commentaire sur jusqu’où on pourrait aller en tant que société."

La pièce se déroule dans un resto branché où une chef de renom cuisine rien de moins que de la chair humaine. Ainsi, les "Viandes" (chairs consentantes) s’alignent devant le resto où elles seront apprêtées au bon goût des clients.

À l’ère de la déshumanisation, c’est en réaction au besoin de pouvoir absolu de l’homme d’aujourd’hui, à son éternelle contemplation (télé-réalité) et à sa banalisation de tout – la mort, le sexe, l’amour – que Pascal Lafond, lui-même chef dans un petit resto montréalais, a voulu traiter de cannibalisme. "Je me suis demandé ce qui pourrait arriver le jour où toutes les combinaisons culinaires auront été faites et refaites. L’industrie de la haute cuisine, ne pouvant s’arrêter, devra trouver", écrit-il dans son mot de l’auteur.

Au moment où la pièce est créée pour la première fois éclate en Allemagne un procès à scandale, alors qu’un homme aurait recruté une personne consentante par Internet pour la manger. "Qui nous aurait dit, il y a 20 ans, qu’on allait se délecter d’insectes un jour? remarque le metteur en scène. Alors, le cannibalisme, on sait que ça existe, on sait qu’il y a des tribus qui le pratiquent. On la connaît l’histoire d’un avion qui s’est écrasé et la façon dont les passagers ont pu survivre, en mangeant les morts gelés. Il y a même un gars qui a dit que c’était quand même tendre, que c’était bon."

À la première lecture du texte, Robert Bellefeuille s’est dit autant révulsé que séduit. "Il y a un élément de séduction là-dedans. C’était important pour moi que ça ne soit pas gore, que ce ne soit pas plein de sang. C’est un show très esthétique, qui est appétissant et intrigant. […] Ce sont des beaux cadavres… Les "Viandes" qui entrent ont toutes 25 ans, elles sont habillées comme on enrobe des saucissons…" note le metteur en scène, qui s’est pour ce faire entouré des comédiens Éloi ArchamBaudoin, Charles Baillargeon, Vincent Côté, Alexandre Fortin, Sharon Ibgui, Agathe Lanctôt, Marie Pascale, Hubert Proulx et Milane Ricard.

"La notion de cannibalisme fait partie du spectacle, c’est le propos, mais on parle surtout de mal de vivre: "Pourquoi il y aurait des gens qui voudraient se faire manger?" Ça traite aussi de la recherche de sensations fortes", précise-t-il.

Dans cette fable douce-amère, poétique et troublante, l’humain est, encore plus qu’aujourd’hui, catégorisé. Un personnage fait même l’apologie des grosses; un autre, celle des laides. Mais attention, les chairs fumeuses ou alcooliques ne sont pas recommandées. Il semblerait que les doigts de pianistes frits sont toutefois irréprochables. "C’est très imagé comme vocabulaire, c’est aussi très ludique. Mais déjà, on a beaucoup d’expressions dévorantes dans notre vocabulaire, remarque avec humour Robert Bellefeuille. On va dire: "Je vais lui arracher la face". La façon dont on traite les filles comme de la viande aussi: "C’est un beau morceau". Ou une fille qui parlerait d’un gars: "Regarde-y les pectoraux, les fesses, ah, j’y mangerais les fesses!" Et dans la pièce, les descriptions de plats se font comme si on parlait d’un steak."

Estomacs sensibles, ne vous abstenez surtout pas.

Jusqu’au 22 octobre à 20 h
À la Nouvelle Scène
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