Sylvie Drapeau et Isabelle Vincent : Vague de fond
Sylvie Drapeau et Isabelle Vincent signent un premier texte dramaturgique, Avaler la mer et les poissons, une tragicomédie qu’elles interpréteront bientôt sur les planches du Théâtre La Licorne.
Amies de longue date, Sylvie Drapeau et Isabelle Vincent se sont prêtées à l’exercice d’écrire une pièce et de la jouer par la suite. Un défi qui semble les avoir menées au bout d’elles-mêmes. "Dans nos parcours respectifs, nous avons toujours été intéressées par l’écriture", nous dit d’emblée la comédienne Isabelle Vincent, que l’on connaît surtout comme membre des excellents Éternels Pigistes. "Sylvie était en littérature avant d’entrer à l’école de théâtre, et moi j’écrivais des chroniques. C’était quelque chose qui était dans l’air depuis des années."
Avaler la mer et les poissons emprunte donc au dicton la gourmandise dont ont voulu parler les deux comédiennes dans la jeune quarantaine. "Comme nous sommes actrices, nous avons commencé par étoffer deux personnages, deux femmes que nous avions envie d’incarner, résume Sylvie Drapeau. Ariel est la femme politique, l’exubérante, celle qui sait parler mais qui est remplie de contradictions. Kiki est l’artiste, beaucoup plus réservée, plus intérieure." "A priori, elles sont très différentes, poursuit Vincent. Mais toutes deux sont tournées vers l’engagement, politique ou artistique. C’est cette quête de sens qui les relie. Ce désir de tout comprendre."
Outre Kiki et Ariel, les deux comédiennes ont intégré à la trame narrative deux personnages masculins sous la figure de l’amant et du mari. Un angle archétypal qu’elles tenaient à explorer. "Nous voulions écrire des rôles d’hommes et non d’adolescents attardés, soutient une Isabelle Vincent visiblement agacée par l’actuelle figure sociale masculine. Tous nos personnages sont préoccupés, portent une intériorité à leur façon. Et ils ont un désir de s’engager. Le fait d’être au mitan d’une vie donne envie d’exprimer son point de vue sur plein de choses, sur Dieu, sur la quête de sens mais surtout sur la peur de la mort. Au-delà de la simple anecdote d’une amitié, nous voulions parler des deuils. Le deuil de soi-même quand on se transforme. Le deuil de la naïveté."
LES DEUX FONT LA PAIRE
Si les deux actrices ne nient pas avoir puisé dans l’autobiographie pour construire leurs personnages, la transposition nécessaire à l’œuvre artistique s’est faite tôt dans le processus. "Très vite, Kiki et Ariel sont apparues plus grandes que nous, rapporte Sylvie Drapeau. Elles sont, bien sûr, porteuses de toutes nos préoccupations, mais elles en sont un condensé, donc tout ici est magnifié." L’écriture à quatre mains, souvent perçue contre nature, s’est également imposée comme une évidence. "Il est important de dire que notre travail s’est fait dans la durée. Il s’est, en fait, étalé sur deux ans, précise Vincent. Il nous fallait inventer une méthode de travail. C’est là que c’est devenu mystérieux car il y a vite eu concordance. Comme si nos consciences s’étaient rencontrées en chemin."
N’est-il pas difficile pour un acteur de travailler un personnage que l’on a soi-même créé et qui, par le fait même, jamais ne se dérobe? "Il était très important pour nous que Martine Beaulne signe la mise en scène car elle réussit justement à mettre en lumière des aspects qui nous ont échappé, souligne Vincent. Elle fait en sorte que notre propre texte nous surprenne." Sylvie Drapeau poursuit: "Au théâtre, il y a une troisième dimension qui est l’émotion. Et dès qu’on essaie de la nommer, elle se dédouble et ce n’est plus intéressant. Alors comme auteures, nous avons tenté au fond d’écrire des silences. D’écrire entre les lignes. Étant actrices, nous pouvions d’autant plus être conscientes de ce besoin précis de l’écriture dramaturgique. Et puis, la compréhension de ce que l’on fait comme acteur nous vient beaucoup de l’écoute du public durant les représentations. Alors cette fois-ci, le plaisir sera double car le public nous révélera aussi une compréhension de ce qu’on aura écrit!"
Portées par un enthousiasme évident, les deux complices demeurent surprises de l’aboutissement de l’aventure. "Quand nous nous rencontrions dans nos cuisines, c’était ludique. Mais là, il y a des gens intéressants qui sont inspirés par ce que nous avons écrit et qui ont endossé le projet, qui en font une conception. Alors vous comprenez bien qu’on flotte…"
Du 18 octobre au 26 novembre
Au Théâtre La Licorne
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