La Compagnie Omnibus : Corps étranger
La Compagnie Omnibus propose une relecture de L’Intimité d’Emma Haché, mise en scène par Francine Alepin. Entretien avec Louise Marleau, qui y forme avec Pierre Collin un couple excessif et désabusé.
Il y a à peine un mois, Louise Marleau n’avait pas lu la pièce de l’auteure acadienne Emma Haché. Remplaçant à pied levé Louison Danis, la comédienne s’apprête à interpréter Frauke, une Allemande déracinée et poursuivie par le remord. "Cette écriture m’a fascinée et j’y ai vu un défi incroyable parce que c’est un texte abstrait à incarner, explique Louise Marleau. J’aime beaucoup ces pièces qui portent des moments très réalistes et d’autres où on se détache complètement, comme si on observait nos personnages de l’extérieur. Frauke me rappelle le sadomasochisme de la mademoiselle Julie de Strindberg, les jeux de rôles de la Marta d’Albee. J’ai vu tout de suite l’occasion de me replonger dans ce genre de travail que j’adore faire."
Alex et Frauke forment un couple traumatisé par la Deuxième Guerre mondiale. Si Frauke a connu Alex en soldat canadien vainqueur sur la terre allemande, elle partage maintenant sa vie au Canada, rongée par un cancer, mère et amante désillusionnée. "Ça se verra physiquement qu’elle est Allemande, poursuit l’actrice. J’y mets même un petit accent pour qu’on se souvienne tout au long de la pièce que ces deux personnages viennent de deux mondes différents. C’est donc une approche plus réaliste, je pense, que ce qui avait été fait avec Marc Béland et Markita Boies dans la première version. On essaie d’entrer dans la folie de ces deux personnages, car ils sont hantés psychologiquement par la guerre. Il s’agit alors de montrer leur réalité émotionnelle. Frauke, refusant d’appartenir à la race aryenne et ayant beaucoup de culpabilité, de cauchemars et de visions apocalyptiques de ce que son peuple a généré, porte un désir de mourir. D’échapper enfin à cette culpabilité qui la ronge."
TÊTE CHERCHEUSE
Abordant la maladie, la maternité et la mémoire, le texte d’Emma Haché lance des pistes volontairement floues. Frauke a-t-elle tué son enfant? S’agit-il d’un pervers jeu de rôles auquel deux êtres blessés se prêtent? "Il me semble que tous les thèmes abordés soient sous le couvert de l’autodestruction, cette utilisation de l’autre pour sa propre destruction, précise Marleau. J’aime que les spectateurs puissent repartir de ce spectacle en se posant des questions, car c’est là que réside la théâtralité. Il faut toutefois les renseigner assez pour qu’ils puissent être touchés par ces personnages."
La comédienne travaille pour la première fois sous la direction d’une compagnie de théâtre expérimental. Omnibus axe en effet sa pratique sur l’organicité des corps. "Qu’un théâtre de recherche s’intéresse à moi, ça m’a beaucoup touchée. Non pas parce que je n’ai fait que du théâtre classique ou de l’institutionnel – ça fait 25 ans que je n’ai pas joué au TNM! confie la comédienne en riant -, mais j’ai commencé à l’âge de sept ans et j’ai fait partie des troupes établies parce qu’il n’y en avait pas d’autres. Évidemment, on m’a associée au théâtre établi. Les gens qui avaient mon âge et qui faisaient du théâtre d’avant-garde ne pensaient pas à moi."
La comédienne avoue d’ailleurs avoir longtemps envié Paul Savoie, qui se promène allégrement d’un univers à l’autre. "C’est une remise en question que d’aller dans des lieux où l’on peut tout se permettre. Je n’ai pas eu souvent l’occasion de le faire, sauf les fois où je l’ai moi-même provoqué. C’est donc un honneur pour moi d’être demandée par une troupe comme celle-ci. J’espère que ça va ouvrir la porte à d’autres jeunes compagnies, car c’est très agréable."
Du 25 octobre au 12 novembre
À Espace libre
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