Temps de chien : Longueur d’onde
Sylvain Émard fait pleuvoir son Temps de chien sur l’Usine C. Bulletin météo.
Tenter de révéler l’anecdote profonde qui se cache sous le voile tamisant de l’atmosphère scénique de Temps de chien, de Sylvain Émard, relèverait de la supercherie. D’une part, le travail formel de la matière y est prédominant; d’autre part – et par extension -, on n’est pas dans un univers narratif où se déroule un récit linéaire, mais plutôt devant une bulle poétique savamment édifiée par Émard et ses collaborateurs. Effectuer l’énumération des éléments techniques majeurs qui constituent cette bulle serait donc une piste de lecture plus instructive et valable pour tout spectateur.
Un des éléments scénographiques les plus importants – qui pourtant peut sembler anodin – est cette immense frise noire qui cache la moitié de l’espace frontal scénique, du milieu jusqu’en haut, nous plaçant devant une scène en "wide screen" à l’intérieur de laquelle les interprètes se retrouvent dans un état d’isolement plus grand que s’ils avaient accès à toute la résonance du public. En outre, cela a pour effet de créer une distance plus grande entre le public et les formes engendrées par le mouvement des corps, de la lumière et du son.
De quelle nature sont ces formes? Manifestement, il y a eu mise en place d’une structure lumino-cinétique dont le grand rectangle métallique, en fond de scène, est la surface d’inscription principale. Sur cet écran – mobile par moments – se mêle aux projections vidéo-lumineuses du concepteur Effe le reflet des corps dansants que les projecteurs fixes, agencés par Étienne Boucher, renvoient dans l’espace. Un moyen ingénieux d’amalgamer l’image vidéographique (qui est une projection lumineuse dynamique) à la conception d’éclairage "fixe". De cette manière, le travail de la vidéo ne vole pas la vedette aux corps qui se trouvent en chair et en os sur scène et contribue, de ce fait, à une mise en scène équilibrée.
Cet équilibre visuel entre corps, image et lumière est soutenu – il ne faut pas l’oublier – par une architecture sonore issue d’un mariage heureux des talents des compositeurs Tim Hecker et Michel F. Côté. Les formes vibratoires qui émergent de ce travail acoustique font apparaître, entre autres, un univers d’ordinaire invisible qui nous traverse pourtant chaque jour: celui des ondes radio, transmettant un lot d’information à distance.
Temps de chien est une preuve concrète que l’on peut utiliser la technologie ou y faire référence sans que l’appareillage ne soit pour autant un fardeau scénique. Pour ne prendre qu’un exemple, pensons à ce duo qui ouvre le spectacle, et dont l’effet visuel impressionnant d’ombres projetées n’est dû qu’à une simple petite lampe portative attachée à un des deux danseurs.
Le flot de cette pièce semble à l’image de son créateur: doux, subtil, égal, mais aux contrastes surprenants, tout en restant cohérent et jamais extravagant. Il s’agit toutefois d’un vin jeune qui possède déjà sa cote, mais qui a tout avantage à prendre de l’âge. À revoir dans deux ans.