Gill Champagne : Pièce à conviction
Scène

Gill Champagne : Pièce à conviction

C’est Gill Champagne le directeur artistique qui désirait inclure Sainte Jeanne à la programmation du Trident. Mais c’est au metteur en scène qu’en est revenue l’investigation…

Lorsqu’il a posé sa candidature comme directeur artistique du Trident, Gill Champagne a dû proposer une programmation de son cru. Sainte Jeanne, de George Bernard Shaw, y figurait. "Mais je ne pensais pas que je la monterais, moi", commente-t-il, avant de poursuivre à propos de ce texte dont le style recherché fait, à son sens, autant la beauté que la difficulté: "Son ironie m’a beaucoup plu; j’ai ri en le lisant la première fois. Il y a beaucoup de dénonciation, d’humour, mais pas de psychologie. C’est vraiment une pièce épique, presque shakespearienne dans sa façon de livrer ce que les personnages défendent. Ce sont les mots qui se battent… Et cette adolescente [Jeanne d’Arc] m’émeut beaucoup."

Un personnage qu’il a cherché à présenter "dans sa conviction, sa vérité et sa grande simplicité", plutôt que comme une schizophrène qui entend des voix. "Je ne voulais pas tomber dans le côté mystique, mais davantage me demander qui serait cette femme aujourd’hui, ajoute-t-il. Et ce qui ressort de cette question, c’est qu’il s’agit d’une adolescente qui va au bout de ses idées." Jusqu’à sa fin tragique, connue de tous… Mais que savons-nous du contexte politique et religieux de l’époque? Pour la plupart, bien peu de chose, souligne-t-il, d’où l’intérêt de cette pièce s’attachant à le dépeindre.

LE FEU DE L’ACTION

Ainsi y suit-on la Pucelle (Marjorie Vaillancourt), depuis le jour où elle demande une armure avec l’intention de se rendre auprès du Dauphin (Jonathan Gagnon), à Chinon, alors que les Anglais sont en train de prendre possession du pays. "J’avais lu quelque part qu’à un moment donné, Jeanne est arrivée dans une caserne en France où c’était la débauche totale, et qu’elle est entrée là un peu comme Jésus dans le temple, qu’elle a tout démoli. Alors, je pars de cette déchéance, où il n’y a rien de grave, mais où on sait qu’en arrière, ça gronde, explique le metteur en scène. Il y a toujours cette espèce de jeu dans les ambiances; on rit, mais on rit jaune."

Quant à la manière dont elle réussit à les convaincre de la suivre… "Il y en a qui disent que ce serait la bâtarde de la reine, et c’est ce qu’on voit dans certains films, où elle va chuchoter quelque chose à l’oreille du Dauphin. Apparemment, elle lui aurait dit: "Je suis ta demi-sœur, on est nés de la même mère, mais pas du même père", évoque-t-il. Alors, on le fait dans la pièce, et c’est à partir de là que Charles décide de foncer avec elle."

Puis, elle se lie d’amitié avec Dunois (Jean-Sébastien Ouellette), capitaine en compagnie duquel elle conquiert Orléans. "Et après, on tombe dans la partie un peu plus dramatique, plus inquiétante aussi, où on se rend compte que cette femme nuit à l’État, à la politique du pays, continue-t-il. Les Anglais veulent s’en débarrasser et un Français, l’évêque Cauchon [Roland Lepage], vient la vendre. S’ensuit, durant toute la deuxième partie, le procès de Jeanne d’Arc, où on entend les obstinations des Anglais contre les Français et des religieux, avec des absurdités qui, à l’époque, n’en étaient pas…"

IMAGES EN MOUVEMENTS

Mais voilà, la pièce ne se limite pas au texte de Shaw, alors que Champagne y inclut des tableaux permettant aux spectateurs d’être témoins des événements auxquels on réfère. "C’est une mise en scène épique, chorégraphiée, où il y a des combats à l’épée, où on escalade les murs comme si c’étaient des tourelles de château, illustre-t-il. Sans vouloir faire hyperréaliste comme dans les films; c’est plus suggestif. Je dis souvent aux comédiens que ce qui m’intéresse, ce n’est pas de voir de vrais coups d’épée, mais le dessin que l’épée fait dans l’espace pour arriver au coup mortel, à l’attaque ou à la riposte." Bref, de mettre en valeur le mouvement et son effet dramatique, en l’opposant à une musique violente, tribale, qui est là "pour traduire la pulsion, le côté très charnel de la guerre, faite de corps à corps, de monde qui se touche, se bat". En ressortent des contrastes frappants, comme lorsque Jeanne erre sur le champ de bataille, légère et intouchable, comme protégée.

En fait, c’est l’ensemble du jeu qui se veut évocateur. "Souvent, on se demandait: "Qu’est-ce que le personnage représente? Il vient là pourquoi?" C’est ça que je veux voir, sentir, entendre. Je ne veux pas savoir s’il est blessé ou peiné. Et s’il l’est, il ne faut pas que ce soit rendu d’une façon psychologique, mais épique. Il faut élargir le sentiment, sans tomber dans la caricature, explique-t-il. Pour moi, une façon de gérer ça, c’est par le corps dans l’espace. Comment on l’assoit, on le couche? Comment il meurt sans que ce soit réaliste, mais de façon à ce que, comme quand on regarde un tableau, ça suscite des émotions?"

PARTI PRIS D’INTERPRÉTATION

Au service de cette vision, le décor de Jean Hazel prend pour sa part la forme d’une sculpture pouvant représenter plusieurs lieux et permettant toutes sortes d’effets de plongée et de contre-plongée. Avec ses deux murs courbes en cotte de mailles s’élargissant vers la salle et laissant parfois entrevoir ce qui se passe derrière, où la guerre fait rage, il se compare, pour le metteur en scène, à une manière d’entonnoir, dont Jeanne ne sortira pas vivante, tandis que, telle l’ombre de son destin, le feu la suit tout au long du spectacle. Mais on peut également voir en ces parois des parenthèses: "C’est comme une trêve, remarque-t-il. Ils viennent là pour régler, manigancer, trahir quelque chose et ils retournent se battre."

De même, les costumes se présentent davantage comme une relecture des lignes et des coupes du Moyen Âge que comme une reproduction. "La plus grande interprétation, c’est pour le procès, parce que je me suis dit: "C’est peut-être elle qui voit les juges comme ça dans sa tête", spécifie-t-il. Alors ils appartiennent beaucoup aux univers de Jérôme Bosch, ces insectes mi-homme, mi-animal, tout droit sortis de l’enfer… Et Marie-Chantale Vaillancourt y est allée d’une fantaisie absolument hallucinante!" Avec, notamment, des soutanes se perdant en queue de lézard… De quoi donner une nouvelle résonance à cette pièce et faire en sorte que les gens se sentent concernés, espère-t-il. En attendant, ne lui reste qu’à garder la foi…

Du 1er au 26 novembre
Au Trident
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