Jean-Guy Legault : Monter au front
Scène

Jean-Guy Legault : Monter au front

Jean-Guy Legault s’attaque à un pan important et pourtant méconnu du patrimoine théâtral québécois: Les Fridolinades de Gratien Gélinas.

Après avoir talentueusement revisité Goldoni et Dickens, Jean-Guy Legault entreprend de se mesurer au père de la dramaturgie québécoise, Gratien Gélinas. Entre les murs du Théâtre Denise-Pelletier, le jeune metteur en scène dépoussière Les Fridolinades en insistant sur le contexte historique dans lequel elles ont été créées: la Seconde Guerre mondiale et l’après-duplessisme, une époque qui préfigure la Révolution tranquille.

Présentées de 1938 à 1946, Les Fridolinades amalgamaient sketches, chansons, danses, parodies et monologues. Au cœur de ces revues, Fridolin, un adolescent faussement naïf, commente les mœurs et la terrible actualité de son temps. Avec sa culotte courte, son chandail du Canadien, sa casquette et son fameux lance-pierre, mais surtout avec son humour et sa dérision, Fridolin fait courir les foules. "Comme à peu près tout le monde, je méconnaissais l’œuvre de Gratien Gélinas et surtout Les Fridolinades, avoue Jean-Guy Legault. Pour moi, c’était du cabaret, les Bye Bye de l’époque. À la lecture, j’ai été frappé par la justesse d’analyse qu’avait l’homme sur son temps." Pourtant, jusqu’ici, ce sont surtout les passages comiques de l’œuvre qui ont été revisités, notamment par Denise Filiatrault. Parmi les quelque 1600 pages que totalisent Les Fridolinades, le metteur en scène a préféré les plus engagées et les plus critiques. "Ce sont les mieux écrites, les plus punchées et les plus drôles", estime-t-il.

Ainsi, ravi par la pertinence de la matière première, le metteur en scène s’engage, avec ses acteurs (Nico Gagnon, Geneviève Bélisle, Éric Bernier, Luc Bourgeois, Sébastien Gauthier, Dominique Leduc, Marie-Ève Pelletier et Myriam Poirirer), dans l’aventure d’une adaptation qui resitue les textes dans le contexte sociohistorique qui les a vus naître. "À partir des moments marquants de la Seconde Guerre mondiale, j’ai effectué un cheminement dans l’œuvre, révèle le créateur. Je pense que les deux trames correspondent parfaitement." Bien qu’il ait rajeuni la partition en transposant certaines références à notre époque, Legault est convaincu que celle-ci n’a rien perdu de son actualité. "Il y a une foule de liens entre cette période et la nôtre, affirme-t-il. Quand Gélinas parle de Mackenzie King, de Duplessis et de la magouille, on a les deux pieds dans la Commission Gomery! C’est exactement le même mode de fonctionnement qu’aujourd’hui. Les politiciens changent, mais le discours et la manière de faire ne changent pas. Nous vivons encore dans une démocratie de pouvoir."

Il n’y a pas à dire, le metteur en scène présente toutes les qualités d’un authentique dompteur de classiques. Selon lui, "s’alimenter d’un auteur, utiliser ce qu’il a fait pour le transposer, l’amener ailleurs, c’est le respecter, démontrer son importance". Dans son adaptation, Fridolin est parti pour la guerre, quelque part dans les "vieux pays". "Dans cet univers, précise-t-il, la seule façon que trouve Fridolin de ne pas devenir fou, c’est de reproduire ses spectacles de ruelle. Pour monter leurs numéros, lui et les membres de son peloton utilisent tous les objets qui sont à leur disposition." Au milieu de tout cela, comme pour mettre le feu aux poudres, Legault fait intervenir un mafioso et une comptable, deux personnages qui souhaitent transformer le Théâtre Denise-Pelletier en condominiums. "Le futur doit s’appuyer sur les fondations du passé, lance-t-il. Pour une nation qui veut se construire un pays, je nous trouve particulièrement efficaces lorsque vient le temps de démolir notre patrimoine."

Du 4 au 19 novembre
Au Théâtre Denise-Pelletier