Marie Laberge : Le grand retour
Scène

Marie Laberge : Le grand retour

Après 13 ans d’absence, Marie Laberge revient au théâtre avec la pièce Charlotte, ma sœur, une création qui traite entre autres des rouages intérieurs de l’artiste. Un retour en force pour une dramaturge en verve.

Vous connaissez peut-être Aurélie, la femme blessée de la pièce Aurélie, ma sœur. Cette fois, Marie Laberge donne plutôt la parole à sa sœur Charlotte, une femme ayant fui son passé pour se consacrer à la sculpture. "Charlotte est une femme de silence qui se mettra à parler, expose d’entrée de jeu Marie Laberge. L’arrivée d’un biographe viendra menacer l’équilibre qu’elle avait réussi à instaurer dans son exil. Chez Charlotte, il y a un inceste qui n’est pas simple. Je crois que dans le lit maudit, il y a de l’amour. Si on pouvait seulement haïr, ce ne serait rien. Or, Charlotte aimait son père et c’est d’autant plus terrible. Elle pense avoir mis 35 ans de silence au profit d’une œuvre artistique, mais elle est une femme lucide qui se cache des choses."

Au-delà du propos familial, c’est sur le tréfonds de la création artistique que se penche cette fois Marie Laberge. "Je voulais parler du lien qu’a l’artiste avec sa création et le lien que les autres y voient. Le biographe de la pièce appartient au domaine universitaire, là où le discours devient plus important que l’œuvre en elle-même. Cet homme voudra décaper le privé, savoir en quoi le fait d’être une femme, féministe, une mère qui a abandonné son enfant, se vit dans le marbre. Je ne dis pas que sa recherche est inintéressante. Il y a quelque chose de privé offert à l’œil public dans une œuvre artistique, et en tant qu’artiste, il faut l’admettre. Seulement, Charlotte est entêtée. Elle se mesure d’ailleurs au marbre avec un marteau et des ciseaux. Elle est à l’arraché."

La dernière pièce de Marie Laberge, Pierre ou la consolation, remonte à 1992. Une absence pendant laquelle l’auteure aura pris une année sabbatique pour la première fois en 27 ans de travail. "Il faut que l’esprit repose, que la vie rentre encore en nous, explique-t-elle, visiblement rassérénée. En vieillissant, je me rends compte qu’il y a des choses qu’on escamote et qui restent comme du gravier dans la gorge. Je savais qu’il fallait que j’arrête, je me savais prête pour un peu de vie. Il en est de même dans mon parcours théâtral. J’ai l’impression de revenir après 13 ans de silence et ça renouvelle mon plaisir."

RETOUR AUX SOURCES

Marie Laberge semble se laisser conduire par des cycles d’écriture. Son retour au théâtre peut donc difficilement rester conjoncturel. "L’ennui dans le fait de le reconnaître, c’est que je vais maintenant être obligée de l’assumer pour la suite, avoue en riant Marie Laberge. Mais oui, je sens des cycles dans mon travail. Cette fois, le théâtre est arrivé pendant que je finissais le roman Florent. J’étais à 30 pages de la fin et je n’avais rien devant moi. J’étais face à la mer, j’ai levé la tête et j’ai vu quelqu’un qui me regardait avec un œil noir. C’était Charlotte. J’ai su que c’était du théâtre car on ne mélange pas les familles. Et je ne pense pas que j’aurais été capable de transvaser le monde du théâtre dans le monde du roman."

Marie Laberge considère néanmoins que la dramaturgie et l’écriture romanesque ont des points en commun. "L’engagement, la frénésie, l’implication profonde sont les mêmes, explique-t-elle. Mais le temps est différent. Le théâtre, c’est un coup de poing. Ça doit tenir les gens dans un souffle. La structure dramatique est implacable. Si on se perd au théâtre, on perd les gens. Le rapport à l’émotion est aussi différent. Au théâtre, on est assis dans une salle, on est malmené par des personnages et des ambiances, mais tout à coup, on comprend. Et on est sûr qu’on est bon d’avoir compris. Dans un livre, on a, au contraire, l’impression de s’être fait expliquer les choses."

L’auteure, qui mettra elle-même son texte en scène, reste donc doublement consciente du risque qui en résulte. La dramaturge doit maintenant laisser la place à la metteure en scène. "Ces deux rôles se doivent d’être séparés car je pourrais massacrer mon texte, maintient-elle avant de manifester un enthousiasme évident pour son équipe. "Je ne pense pas que mes personnages pouvaient espérer mieux. Dans la salle, je vais redevenir l’auteure et je serai enfin dépassée. C’est le rêve de tous les écrivains, je crois, d’être dépassés par ce qu’ils ont écrit." Avec Micheline Bernard, Christian Bégin, Denise Gagnon et Émilie Bibeau.

Jusqu’au 3 décembre
Au Théâtre Jean-Duceppe
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