Chaurette/Marleau : Le couronnement
Avec Les Reines, le couple Chaurette/Marleau se réunit pour une troisième fois autour d’une pièce où six femmes se frottent à la royauté, au milieu d’une violente tempête.
Après avoir mis en scène La Passage de l’Indiana et Le Petit Köchel, Denis Marleau poursuit l’exploration de l’univers chaurettien avec son classique Les Reines, dont la création mémorable a été faite en 1991 par André Brassard au Théâtre d’Aujourd’hui. Si on dit que Normand Chaurette a trouvé son metteur en scène en la personne de Marleau, ce dernier a aussi trouvé matière à de grandes explorations dans la poésie cosmique, musicale et profonde de l’auteur.
Le tableau des Reines est peint comme suit: Londres, 1483. Une tempête engloutit la ville alors que le roi Edouard agonise. Dans les couloirs du palais, les esprits s’échauffent. Pendant que Richard trame ses plans machiavéliques pour parvenir à ses fins (le trône), six femmes se jaugent et se détestent: il y a d’abord la désemparée reine Elizabeth (Christiane Pasquier), la grincheuse duchesse d’York, mère des rois (Béatrice Picard), la reine déchue Marguerite d’Anjou (Ginette Morin), les parvenues Anne (Louise Bombardier) et Isabelle Warwick (Louise Laprade) ainsi que la muette et secrète Anne Dexter (Sophie Cattani). Toutes convoitent la couronne et le pouvoir. Toutes sauf la silencieuse Anne, sœur des rois à qui on a coupé les deux mains.
Christiane Pasquier, qui a déjà travaillé avec Marleau dans Le Petit Köchel (avec quatre des comédiennes mentionnées ci-haut), se dit de nouveau très émue d’entrer dans l’univers du duo. "Denis est amoureux de l’humour de Chaurette, de sa finesse. Je crois aussi que ce mélange entre le burlesque et le pathétique l’a séduit tout comme dans Le Petit Köchel."
Normand Chaurette, dont le théâtre rendait plutôt honneur à l’homme jusqu’à maintenant, trace ici un portrait excessif de la femme. "Les femmes que crée Normand Chaurette ne sont pas des femmes-hommes, mais elles ont beaucoup de masculin quand même. Elles ne sont pas évanescentes dans le sens du cliché féminin, mais en même temps elles sont proches de la nature… C’est ça, le mystère de sa poésie. Quand on lit ce texte, on sent une espèce de boulimie, on a hâte de s’approprier, de manger ces mots-là, tellement c’est beau", explique une Christiane Pasquier émouvante.
"Avec des personnages masculins, j’avais un regard analytique et non pas un regard émotif, expliquait l’auteur en conférence de presse. Ce n’était pas sexuel, c’était un produit intellectuel. Bref, après avoir travaillé les percussions et les cuivres avec les hommes, j’ai attaqué les cordes [avec les femmes]."
Fortement inspiré du Richard III de Shakespeare – dont il n’avait rien compris à la première lecture -, Chaurette décale le propos de l’auteur classique et le recadre pour qu’émane une certaine modernité. "Je comprends qu’il se sente proche de Shakespeare dans un sens, parce que Normand non plus n’a peur de rien, peur d’aucun mélange… Il n’a pas peur de l’horreur, on l’a vu dans Le Petit Köchel, il est capable de faire de la poésie avec de l’horreur. […] Shakespeare avait une écoute extraordinaire, il entendait toutes sortes de choses, on aurait dit qu’il était branché sur le monde avant Internet. Ça me fait penser à une espèce de réceptacle extrêmement nerveux et Normand est un peu comme ça aussi."
Dans un genre de valse effréné où l’on parle beaucoup, passant de babillages à de longs monologues, un humour singulier point de surcroît. "Parfois grinçant, c’est toujours un humour très agile, un humour fin, qui court comme ça partout", explique Christiane en faisant danser ses doigts devant ses yeux en riant. "J’adore ça!"
Dans son mot de l’auteur, Normand Chaurette écrit: "Moi c’est Richard, qui n’ai su voir dans les reines que des monstres faillibles, amputés d’une main, d’une couronne, d’une joie, d’une chevelure." "Je crois que Normand, dans cette pièce, c’est le rire sardonique. Il prend plaisir à manipuler ses femmes. Elles sont issues de Normand, soit de sa famille, de son héritage. Enfin, ce sont des femmes qui font partie de son cercle amour-haine. On a tous des gens comme ça dans notre famille; ce sont des gens qu’on rencontre, qui font partie de notre vie et qui nous nourrissent constamment. Les reines viennent de cette famille-là. Ce n’est quand même pas rien d’avoir ces femmes-là en soi. Je ne sais pas comment il fait pour marcher debout! C’est quand même des poids, toutes ces femmes. C’est impressionnant", note l’inspirée Christiane en conclusion.
Jusqu’au 26 novembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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