Jacinthe Laguë et Vincent Bilodeau : État de choc
Scène

Jacinthe Laguë et Vincent Bilodeau : État de choc

Jacinthe Laguë et Vincent Bilodeau participeront à la version contemporaine d’Antigone de Seamus Heany, traduite ici par Marie-Claire Blais. Une allégorie du pouvoir qui prendra sous peu l’affiche au TNM, dans une mise en scène de Lorraine Pintal.

Il n’y a pas si longtemps, mourir pour des idées nous semblait incongru. Pourtant, force est de constater que le phénomène prend une expansion mondiale. Plus politique que jamais, l’Antigone traduite par Seamus Heany sera bientôt présentée au Théâtre du Nouveau Monde. "C’est clairement une version moderne, car le texte est direct", affirme d’emblée Vincent Bilodeau, qui incarnera le tyran Créon. "Ce texte est cru, net, contrairement aux versions très ronflantes du théâtre grec. L’auteur a coupé les longues diatribes des chœurs. Il n’a gardé que ce qui sert l’action. Les événements se succèdent donc à un rythme affolant, ce qui rend la pièce d’une actualité étonnante."

Après une guerre sanglante, le roi Créon interdit la sépulture du jeune Polynice, rebelle vigoureux contre le pouvoir en place. Sa sœur Antigone paiera de sa vie pour assurer au combattant un enterrement digne de sa lignée. Alors que le texte original de Sophocle traite de la guerre de Thèbes, Heany fait ici un bond dans le temps, fixant l’action dans la Grèce des années 60. "Quelqu’un qui ne connaît pas cette période historique ne verra aucune allusion dans le texte, poursuit Bilodeau. Par contre, les costumes et certains éléments du décor suggèrent l’époque de la dictature des colonels, ou renvoient même à l’aveuglement de l’administration Bush. Mais on pourrait imaginer ces personnages dans n’importe quel contexte politique."

La comédienne Jacinthe Laguë, qui interprétera l’exigeant rôle d’Antigone, considère également cette adaptation comme fort judicieuse. "Fixer l’action dans les années 60 permet un regard contemporain sur cette tragédie tout en nous permettant un recul nécessaire." L’actrice ne peut toutefois s’empêcher de comparer son personnage aux actuels kamikazes. "Comme eux, elle a un but à atteindre et elle s’empêche de penser à la mort, car sinon elle manquera de courage. Antigone traverse la pièce avec un seul objectif, elle tient son bout par orgueil, par passion, par amour. C’est seulement à la fin qu’elle ressent la peine immense à l’idée de mourir."

On ne cherchera pas non plus à minimiser des personnages qui à la base sont plus grands que nature. "Ce sont deux êtres en conflit, défend Laguë, et leurs objectifs les rendent tous deux aveugles. Ils demeurent excessifs et c’est important de le traduire. Il ne faut pas oublier ni nier qu’Antigone va trop loin." "L’affaire, c’est qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de gens qui vont trop loin, ajoute Bilodeau. Voilà pourquoi la catharsis est plus difficile. On ne le voit pas parce qu’aujourd’hui, on travaille beaucoup sur l’image des dirigeants. On a accès à ces gens seulement par le truchement des journaux ou de la télévision."

Une pièce politique donc, mais qui ne jettera pas le blâme sur un des partis. "Nous n’avons jamais cherché à savoir qui était bon ou qui était mauvais dans l’histoire, soutient Laguë. Là n’est pas l’intérêt. Ce qui est préoccupant, c’est que l’action de la pièce se déroule le lendemain d’un armistice. À l’aube du premier jour de paix, c’est le chaos." Bilodeau renchérit: "Ces personnages sont tous maudits, pris dans un engrenage de vengeance. Antigone m’apparaît aussi dangereuse que Créon. Aurait-elle été reine qu’elle aurait peut-être agi de façon aussi absurde."

Le génie de Sophocle tient certes à ce portrait d’une humanité capable du meilleur et du pire. "Antigone est l’une des plus grandes pièces jamais écrite parce qu’elle contient de tout, insiste Bilodeau, de l’humanité, de la grandeur, de la poésie, du respect, de la douleur, de la joie, de la fraternité, de la haine, du respect. Elle confronte l’homme à son destin, à l’amour, à la politique."

Jacinthe Laguë, visiblement comblée de prendre à bras le corps un personnage aussi chargé, y voit l’occasion de se confronter à elle-même. "Avec Antigone, je dis adieu à l’adolescence dans mon métier. J’y deviens une adulte, dans ma méthode de travail, dans ma disponibilité, dans ma prise de conscience. J’ai pris contact avec une largeur dans mon corps, à l’intérieur. Jouer Antigone, c’est dire adieu à des réflexes connus. Et c’est un personnage merveilleux pour faire ce passage."

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NOTE

L’École Supérieure de Théâtre recevra Lorraine Pintal et Marie-Claire Blais le 23 novembre à 12 h 45, au Foyer du Studio Alfred Laliberté, lors d’une conférence portant sur le passage du texte à la scène dans un contexte d’actualisation des classiques. Info: (514) 987-4116.

Du 22 novembre au 17 décembre
Au Théâtre du Nouveau Monde
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