Marie-Claire Blais : Noces noires
Scène

Marie-Claire Blais : Noces noires

Marie-Claire Blais et Jacques Crête, qui a déjà monté une adaptation de La Belle Bête (1982) et de L’Île (1986), se retrouvent après presque deux décennies. C’est en 2004 que leurs destinées se croisent à nouveau; ils se rencontrent de manière fortuite au Festival de la poésie de Trois-Rivières. La femme de lettres fait alors part au metteur en scène de son projet d’écrire une pièce sur différents couples en péril à cause du climat politique et social actuel. Du coup, leur désir de travailler ensemble est ranimé.

Dès son retour à Key West en Floride, Marie-Claire Blais rédige les 10 premières pages de Noces à midi au-dessus de l’abîme et les envoie par télécopieur à Jacques Crête. "Ça aurait pu être par Internet aussi. Mais il aime beaucoup écrire à la main ce qu’il ressent. Avec Jacques, rit-elle doucement, tout est concret. Il faut qu’il voie son écriture, qu’il voie le projet naître avec des mots simples et vrais sur papier." Le passionné accueille l’ébauche du récit avec beaucoup d’intérêt. L’auteure poursuit donc dans la solitude. Elle imagine la scène sur le bord d’une plage lumineuse. Des couples se marient. Ils baignent dans la joie. Tout semble parfait. Pourtant, au centre de chaque bonheur se cache une part d’ombre…

"Je vis aux États-Unis, mais ces choses-là pourraient se passer ici ou en Europe. C’est très contemporain. On a tous une similarité dans notre pensée en ce moment. La planète n’a jamais été aussi menacée. Donc, on a une solidarité dans le bien comme dans le mal. Et je voyais dans mes contacts avec différents couples que ça sortait toujours, ça, que dans les dialogues les plus joyeux, les plus charmants, les plus abandonnés, les plus allègres, il y avait toujours une pointe d’inquiétude. Et je me disais qu’il fallait que je puisse traduire cela, parce que ce ne sont pas que des jeunes qui l’expriment. C’est devenu matière courante, admet l’écrivaine. Le monde a toujours été grandement menacé. Mais nous, ce que nous vivons aujourd’hui, c’est qu’en plus d’avoir été menacés par les choses du passé et de porter ce siècle-là sur nos épaules, on a un présent déjà très chargé devant la pureté de l’avenir. On porte des fautes du passé et on n’est pas capables de se créer un avenir. Pour quelqu’un comme ces jeunes couples, qui veut faire de belles choses dans la vie, il ne peut pas ignorer ce qui s’est passé avant lui. Il a beau être très jeune, très frais. Avec tout ce que nous voyons dans le monde à la télévision, il ne peut se permettre aucune inconscience. Tout est accéléré par la conscience qui se réveille. Ça va vite, très vite! Un des personnages, vous verrez, dit en parlant des ours polaires: "Moi aussi, un jour, je serai d’une espèce disparue." Il a 20 ans et il pense comme ça, comme beaucoup de jeunes. Il porte ça déjà. Je me demande s’il y a 50 ans, les gens à 20 ans se réveillaient en pensant qu’ils seraient d’une espèce disparue."

La pièce Noces à midi dresse-t-elle un portrait fataliste du monde? La lumière réussit-elle quand même à percer? "Il y a cet espoir que ces couples-là, parce qu’ils sont ensemble et qu’ils s’aiment, vont survivre à tout. Et pas seulement ça, que la planète va survivre à tout. Il y a toujours cet espoir parce qu’ils sont deux. À deux, on est plus forts que lorsqu’on est seul."

Les jeudis, vendredis et samedis jusqu’au 3 décembre
À l’Eskabel
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