Stanislavski : Au nom du père
Scène

Stanislavski : Au nom du père

Utilisant les théories de Stanislavski comme toile de fond, les acteurs Gabriel et Marcel Sabourin allient leurs noms de famille et livrent une création sur les rapports générationnels.

Si l’un parle, l’autre intervient assurément. Véritable entité à deux têtes, Sabourin père et fils bouillonnent, s’objectent, se complètent. Pas étonnant que ceux-ci aient nourri le projet de travailler ensemble à une création artistique. "Nous avons discuté longtemps afin de trouver notre sujet, explique Gabriel Sabourin, visiblement heureux de participer à un tel échange avec son père. Nous ne savions pas encore si ce serait un drame policier ou un film d’horreur… Et puis, la brèche s’est ouverte. Nous ne pouvions nier que le métier d’acteur nous reliait."

Or, quiconque touche au métier d’acteur ne peut passer à côté de la méthode de jeu qu’a élaborée Constantin Stanislavski. Le maître russe aura d’ailleurs influencé plusieurs générations d’acteurs, de la France au États-Unis, où sa théorie a donné naissance aux techniques du célèbre Actor’s Studio. "Outre l’envie de parler du métier, nous avions envie de profiter du fait que nous sommes de deux générations différentes, indique pour sa part Marcel Sabourin. Nous avons donc imaginé une rencontre entre un Stanislavski vieillissant et un jeune acteur inexpérimenté s’apprêtant à jouer son rôle dans un film biographique." La confrontation qui en résulte sera douloureuse. "Stanislavski était un révolutionnaire! s’exclame Sabourin père avec emphase. Son système était en rupture avec le jeu classique français, mais aussi avec le jeu anglais et allemand. Et voilà qu’à la fin de sa vie, il doit se battre contre une jeunesse ambitieuse et se poser la question des limites de sa méthode."

Marcel Sabourin se souvient d’ailleurs avec beaucoup d’émotion de sa découverte de l’homme de théâtre russe au cours de sa carrière. "C’était tellement différent de ce qu’on nous enseignait. On pouvait enfin parler d’émotion." "Pour un acteur de ma génération, Stanislavski n’est pas d’avant-garde, affirme quant à lui Gabriel Sabourin. C’est plutôt le contraire. Il est le livre de référence."

Stanislavski aura passé sa vie à tenter de cerner le mystère du jeu de l’acteur, cette capacité de mentir avec franchise devant un public qui l’observe attentivement. "Cet homme à l’esprit en ébullition a légué malgré lui une méthode ampoulée parce que mal interprétée, déplore Marcel Sabourin. En France et même parfois ici, Stanislavski représente malheureusement ce qu’il tentait de combattre! C’est terrible! Il est devenu un représentant de la vieille garde, méprisé par la jeune génération."

CONFLIT DE GÉNÉRATIONS

Difficile d’ignorer les parallèles entre les deux acteurs et leurs rôles respectifs. En effet, Sabourin père et fils posent les bases de leur pièce sur une confrontation toute générationnelle. "Notre pièce ne s’adresse pas aux acteurs. Elle traite principalement des problèmes qu’ont les générations à se comprendre, précise Gabriel Sabourin. On y parle de la confrontation de la vieillesse et de la jeunesse, du théâtre et du cinéma, du classique et du moderne. On y expose deux façons fort différentes de voir le monde."

Indubitablement, les deux acteurs identifient dans leur œuvre un écho tout personnel. "Le fait que je connaisse mon père depuis toujours amène nécessairement un bagage particulier à notre création, confirme Gabriel Sabourin. Nos barrières sont tombées depuis longtemps. Nos références sont les mêmes. Et puis, j’incarne un jeune homme qui veut jouer le rôle de Stanislavski. Celui-ci prend la place d’un maître avant même qu’il ne soit mort. Le fait de jouer cela avec mon père conduit, bien sûr, à une réflexion. D’autant plus que je lui ressemble physiquement."

Marcel Sabourin, qui interprétera le rôle du chercheur russe, abonde dans le même sens. "On se ressemble et on se connaît. Le lien père-fils se traduit nécessairement, parfois comme un désir de la mort du père, parfois par de l’amour. Dans les répétitions, il m’arrive d’avoir un rapport physiquement paternel que je dois casser puisque mon personnage n’agirait certainement pas de la sorte. Mais mes réflexes de père sont étonnamment forts. Aussi, il est possible que des clins d’œil involontaires se glissent lors des représentations. La pièce comporte donc plusieurs niveaux, qu’on le veuille ou non…" Dans une mise en scène de Louis Choquette, avec également Geneviève Rioux.

Du 22 novembre au 17 décembre
À Espace Libre
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