Corpuscule danse : Instant de vérité
Tangente nous permet d’apprécier un moment rare en accueillant la toute première compagnie québécoise de danse intégrée, Corpuscule danse, dirigée par France Geoffroy.
All in an Instant, qui nous sera présentée, est une pièce créée par la chorégraphe britannique Jemima Hoadley. Ceci, à la demande de la directrice artistique et administrative de la compagnie, France Goeffroy. Elles nous ont fait l’honneur d’une rencontre sur le sujet, qui fut d’ailleurs fort instructive.
C’est avec empathie que France Geoffroy, dont la mobilité fut réduite à la suite d’un malencontreux incident de jeunesse, comprend l’inconfort ou la maladresse des personnes pleinement mobiles devant la représentation scénique d’une danse dite désormais "intégrée". Voici la définition qu’elle donne de ce nouveau champ d’exploration, sur le site Internet de sa compagnie: "La danse intégrée est une invitation à entrer en contact avec la nature intrinsèque du mouvement et à expérimenter ses grands paradoxes: on y confronte les caractéristiques de l’état mobile et de l’état statique, on apprivoise l’esthétique du corps brisé versus celle du corps libre, on apprend à redéfinir les différentes limites et les diverses possibilités."
"Au-delà de l’obstacle, il y a donc tout un monde de potentialités", nous explique-t-elle. C’est pourquoi elle se donne comme défi d’amener le spectateur à dépasser le piège de ne voir que le handicap, à cause de la présence de la chaise roulante sur scène. Car, tel que l’affirme la chorégraphe invitée Jemima Hoadley, "il s’agit d’art, avant tout. Simplement parce que l’art est un moyen de rendre compte de la diversité". Voilà pourquoi, même si l’on parle de danse intégrée, le but premier n’est pas nécessairement d’aborder le thème de l’intégration, mais plutôt d’exprimer ce qui constitue le genre humain, au-delà de tout code: c’est-à-dire la différence. L’intégration n’étant alors qu’un moyen comme un autre d’arriver à cette forme d’expression artistique.
Or, l’expression de cette diversité nécessite la notion d’échange. C’est donc autour de cet axe que la chorégraphe a mis en scène le mouvement. "Pour une question de survie psychologique en milieu urbain, nous sommes devenus des petits systèmes clos entourés d’une solide fortification. À de rares instants, une brèche se crée dans la muraille de deux individus juxtaposés et l’échange devient possible jusqu’au prochain colmatage…", ajoute Jemima Hoadley à cet effet.
La réalité semble nous prouver, effectivement, que les événements les plus marquants se condensent en un seul instant – All in a Instant – où la temporalité nous donne l’impression de suspendre son cours pour s’étirer à l’infini. Comme lorsque l’amour nous atteint en plein cœur, par exemple. De la brèche s’écoule alors un flot qui nous connecte à plus grand. L’individualité se perd. On a une double impression de mort et de liberté. Une situation ambiguë. L’Homme n’aime pas l’ambiguïté. Dans la majorité des cas, il colmatera la brèche et ne choisira ni la mort, ni la liberté. Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles nous ressentons tant le besoin de revivre cet état, par procuration, à travers l’art. Beaucoup moins dangereux!
C’est à Londres, où la chorégraphe invitée demeure présentement, que le processus de création a débuté. Avant la gestuelle, il y a eu l’écriture comme première extension de la pensée. Jemima Hoadley, entourée de l’écrivaine Kate Spenceley et du compositeur Mark Ball, a recueilli des bribes de réflexions sur le thème de l’échange interindividuel urbain, à partir desquelles le trio a composé une trame sonore textuelle et rythmée.
Une fois venu le temps de travailler avec les interprètes, à Montréal, la structure de base était là. Il fallait maintenant laisser paraître la chair autour de l’os. "Notre principale voie de connaissance de l’autre et d’accès au mouvement est le toucher, confie France Geoffroy. Nous générons beaucoup par le contact improvisation. C’est également un bon moyen de dépasser rapidement nos limites psychologiques." Mais danser avec l’interface mécanique qu’est une chaise roulante ne vient pas tout seul, malgré le fait que celle-ci puisse devenir une extension du corps humain. Cela requiert de la technique. Une méthode que France Goeffroy est allée chercher en Angleterre, vers la fin des années 90, faute de ressources adéquates ici. Un manque qu’elle comble dorénavant au Québec.
Cette pionnière en son genre nous offre donc maintenant une autre définition d’un corps en mouvement.
Du 1er au 4 décembre
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