D'avant : Vibrations
Scène

D’avant : Vibrations

Avec le spectacle D’avant, un quatuor masculin éphémère et singulier a pris forme afin de marier des disciplines dans une pièce subtile et intelligente. Rencontre avec l’instigateur, Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola.

Joint à Berlin, le chorégraphe basque Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola en avait long à dire sur cette belle aventure qu’il a lancée il y a trois ans en invitant trois autres danseurs à se joindre à lui. Complètent ainsi le quatuor: le Québécois Luc Dunberry, issu tout comme Juan de l’ensemble de danse de la Schaubühne am Lehniner Platz de Berlin, ainsi que Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, tous deux membres des Ballets C. de la B. de Belgique.

À la fois musicien et chanteur qui s’est spécialisé en musique ancienne, Juan a toujours voulu marier les disciplines de danse et de théâtre à ses anciennes amours, soit le chant. Ayant tous une formation en art vocal, les quatre créateurs se découvrent rapidement un intérêt commun pour la musique vocale médiévale du VIIe au XIIIe siècle. Avec leur bagage respectif, les danseurs ont voulu créer la pièce à quatre, dans un climat démocratique. Sans aucune trame sonore, les mouvements sont basés sur les chants et les sons que font les interprètes sur scène. "Ce qui nous intéressait surtout, puisque la musique était très lointaine dans le temps, c’était de raconter une histoire qui soit très contemporaine, par contraste ou par association. Pour les thèmes, plusieurs coordonnées étaient déjà imposées par le fait que l’on soit quatre hommes, que l’on soit deux duos, issus de deux univers différents. Nous avons aussi employé la musique des croisades et comme on a fait la création juste après le 11 septembre, les thèmes se sont reliés. Ceux du pouvoir politique, de la religion, de l’hystérie et de la manipulation des masses. La masculinité et les questions d’identité sont aussi abordées", remarque Juan.

Dans une facture très théâtrale, les interprètes n’ont pas voulu s’inscrire dans une linéarité, même si l’histoire et les images défendues sont très concrètes. Juan a aussi voulu mettre ses partenaires en confiance avec leur voix, en ayant une approche physique du chant, comme un muscle du corps qu’il faut apprivoiser. "On ne voulait pas être des chanteurs d’opéra. On voulait se montrer vulnérables, pour atteindre un maximum d’affection, souligne Juan. Le fait que la musique médiévale est plus étrangère à l’oreille actuelle que celle de la Renaissance par exemple, permettait plus de possibilités puisqu’on a moins d’idées préconçues face à elle."

Dans un décor évoquant un chantier de construction, les interprètes se heurtent et s’évitent dans un jeu continuel à travers lequel s’exprime parfois une pointe d’humour noir. L’interprétation de Total Eclipse of the Heart de Bonnie Tyler fait entre autres partie des moments lumineux de leur création. "C’était à l’époque des boysbands, où toutes les chaînes de télévision avaient un programme qui faisait des pop stars. Et avec la culture pop, quatre hommes qui chantent et dansent en même temps, c’était presque impossible de s’échapper de l’image du boysband et je dois admettre que ça nous a coûté beaucoup de temps de trouver comment l’intégrer dans le spectacle. Mais ça donne une coupure musicale qui rafraîchit aussi l’oreille, qui peut réveiller aussi de la transe dans laquelle nous plonge la musique médiévale, remarque le chorégraphe. Ça rejoint aussi les thèmes qui nous préoccupaient: où sont les dieux? c’est quoi la religion des jeunes aujourd’hui? c’est quoi les idoles pop? c’est quoi le fanatisme? où sont les limites? etc." Rare visite que ce spectacle qui sera présenté à Ottawa, en exclusivité nord-américaine. En complémentarité, le film allemand Körper de Jörg Jeshel sera projeté à l’auditorium de Bibliothèque et Archives Canada, le samedi à 14 h, représentant une pièce pour treize danseurs de la grande chorégraphe européenne, Sasha Waltz.

Les 2 et 3 décembre à 19 h 30
Au Théâtre du CNA
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