Sylvie Moreau : Reine de cour
Ces jours-ci, Sylvie Moreau se mesure à l’un des plus grands rôles de sa carrière. Sous la direction de Lewis Furey, la comédienne endosse les habits de la reine d’Égypte dans Antoine et Cléopâtre, un théâtre musical inspiré de l’œuvre de Shakespeare.
Cet automne, avec toute la fougue qu’on lui connaît, Sylvie Moreau incarne la reine d’Égypte, héroïne tragique d’Antoine et Cléopâtre, un théâtre musical dont Lewis Furey signe la mise en scène, la musique et le livret. Jean-Michel Déprats, grand spécialiste de l’œuvre de William Shakespeare, a assuré l’adaptation française de cette tragédie romaine évoquant un siècle de guerre fratricide. Chorégraphiée par Claude Godin (longtemps collaborateur de La La La Human Steps), la création bénéficie du labeur de 11 comédiens, danseurs et musiciens, dont Jean Maheux, Renaud Paradis et Sylvain Scott. Après sa tournée québécoise, le spectacle parcourra la France jusqu’en avril 2006.
"J’étais bien plus excitée par l’idée de collaborer avec Lewis Furey que par quoi que ce soit d’autre, lance d’entrée de jeu Sylvie Moreau. Avec lui, je savais que ce ne serait pas ordinaire et que notre rapport serait complètement neuf, ce qui est un privilège en création. Quand tu ne sais rien de l’autre, tu es obligé de croire ce qu’il te dit. Ce sont des choses qui s’effritent quand on connaît trop ses compagnons de travail." Ainsi, quelques discussions et quelques cafés plus tard – des entretiens qui servirent en quelque sorte d’audition -, une relation artistique naissait entre l’une des actrices les plus actives de la province et l’un des créateurs les plus atypiques de la scène européenne. "Ce qui est formidable, c’est que Lewis, vivant à Paris depuis 25 ans, ne me connaissait pas du tout, clarifie celle qui déplore qu’on ne lui propose pas davantage de rôles "sérieux". S’il avait vécu à Montréal, je ne suis pas certaine qu’il aurait pensé à moi. D’ailleurs, ajoute-t-elle, aller jouer trois mois en Europe me rend extatique, parce que là-bas, les gens vont me regarder sans aucun filtre. Tout ce qu’ils vont voir, c’est un personnage. Ils vont y croire ou non, mais ils n’auront pas d’idées préconçues."
Heureusement qu’entre les deux créateurs, la chimie a opéré, parce que Sylvie Moreau tenait obstinément à ce rôle. Elle avoue: "Cette Cléopâtre est en pleine possession de ses moyens, elle détient tous les outils pour se défendre. Comme elle, je suis à un moment de ma vie où je me sens forte, pleine, accomplie, en paix, assumée… des états qu’on ne peut atteindre à 20 ou 30 ans." La comédienne a beau avoir maintes fois travaillé dans la grisante pureté de la création, elle admet n’avoir jamais emprunté le chemin sur lequel on l’entraîne: "Je n’avais jamais travaillé comme ça! C’est une méthode très exigeante, très organique. J’aurais peut-être été moins à l’aise de travailler ainsi il y a dix ans, mais aujourd’hui je suis prête à tout."
Employant le chant et la parole, la danse et la musique en direct, la relecture de Furey semble dégager toute la modernité de l’œuvre. "L’adaptation évacue grandement la complexité politique de la pièce, considère Moreau, cette lourdeur qui explique qu’elle soit si rarement montée. L’intrigue est concentrée sur trois pôles: Cléopâtre, César et Antoine, ce dernier étant pris entre les deux. Contemporaine, la vision de Lewis rend la pièce beaucoup plus lisible pour le spectateur."
Selon la comédienne, cette mouture de l’œuvre shakespearienne fait voir tous les aspects du personnage de Cléopâtre: "Elle est tour à tour fragile, détruite, surpuissante, rêveuse, sensuelle, protectrice, maternelle… c’est extraordinaire de pouvoir incarner toutes ces femmes en une seule." Séparés par la politique aussi certainement qu’unis par l’amour, Antoine et Cléopâtre sont d’exemplaires amants tragiques.
En allant à la rencontre de ce personnage, Sylvie Moreau était bien consciente du défi colossal qui l’attendait. "Pour moi, dit-elle, la difficulté est un moteur très fort. J’adore m’engager dans un projet en n’étant pas certaine d’y arriver. Ça m’oblige à travailler, à bûcher, mais j’ai cette persévérance. Après tout, on fait ce métier pour s’étonner soi-même, au-delà de tout."
Les 9 et 10 décembre à 20 h
À la salle Odyssée
de la Maison de la culture