Andrée Lachapelle et Patrick Goyette : Le livre de ma mère
Scène

Andrée Lachapelle et Patrick Goyette : Le livre de ma mère

Andrée Lachapelle et Patrick Goyette s’apprêtent à incarner une mère et son fils dans La Promesse de l’aube, une adaptation d’un livre de Romain Gary orchestrée par André Melançon sur la scène de l’Espace Go.

À sa première lecture de La Promesse de l’aube, il y a plus de 15 ans, André Melançon a été ému et amusé. En 2003, lorsque le cinéaste renoue avec le roman autobiographique de Romain Gary, il découvre que "la structure narrative de l’œuvre se construit sur deux niveaux, intimement liés l’un à l’autre; qu’elle fonctionne, pourrait-on dire, comme un moteur à deux temps. D’une part, la description, la narration de ce parcours, de cette quête laborieuse d’une mère et de son fils. D’autre part, la "mise en scène", avec dialogues, de certains moments de ce voyage, de certaines rencontres marquantes". Cette architecture, il en a la conviction, l’autorise à s’engager, fort de ses 40 ans de carrière cinématographique, dans la reconstitution théâtrale d’un roman bâti "sur des excès de rêve et d’amour".

Dès les balbutiements de son patient travail d’adaptation, André Melançon pense à Patrick Goyette et Andrée Lachapelle pour incarner les rôles de Roman Kacew (le véritable nom de Romain Gary) et de Nina Borisovskaia, sa mère. Il faut savoir que Patrick Goyette, dont le regard profond rappelle celui de Gary, a déjà collaboré avec Melançon en 2003 sur le long-métrage Daniel et les Superdogs. Quant à Andrée Lachapelle, compagne du cinéaste depuis maintenant 12 ans, elle sera dirigée par lui pour la première fois. "Au niveau de la direction d’acteur, explique Patrick Goyette, il n’y a pas beaucoup de différences entre le cinéma et le théâtre. André est un bon directeur d’acteur. Il a la grande et rare qualité de toujours diriger par la positive. Il est rassurant et enveloppant. Il aime les acteurs et ça paraît!" "Ce qui est bien, c’est qu’il reste ouvert et demande aux acteurs de l’aider, ajoute Mme Lachapelle. Je me méfie toujours des metteurs en scène qui savent tout, décident de tout et avec qui il n’y a jamais moyen de discuter. J’aime bien le doute."

Au cœur de La Promesse de l’aube, un roman paru en 1960, il y a une figure maternelle plus grande que nature, une mère aimante et envahissante à laquelle Romain Gary rend un vibrant hommage. "C’est une femme extravertie et parfois même exaltée qui projette sur son fils unique des rêves d’avenir, explique Mme Lachapelle. Elle lui est complètement dévouée et voudrait qu’il ait une réussite totale. Elle a une telle foi en lui qu’elle est persuadée qu’il ne peut pas s’agir d’un être banal. Elle fait presque peur par moments, parce qu’elle rêve de le voir toucher le soleil, comme Icare. Elle est exigeante, mais quand elle réalise que son fils n’est pas doué pour certaines choses, elle n’insiste pas. Au fond, elle lui donne confiance en lui. Et, au bout du compte, il est devenu ce qu’elle voulait qu’il soit." "C’est elle qui est la source de sa créativité, de ce qu’il est devenu, ajoute Goyette. On pourrait presque dire qu’il a vécu à travers le regard de sa mère. L’idéal, c’est de révéler l’enfant à lui-même, qu’il puisse découvrir son propre désir, sa propre façon de voir."

LE FLAMBEAU DE LA DIGNITÉ HUMAINE

Il semble qu’une caractéristique même de ce qu’on a qualifié de perspective juive ou encore d’humour juif soit à la base de l’amalgame unique de tragique et d’espoir qui caractérise La Promesse de l’aube. "Chez les Juifs, estime Goyette, on retrouve souvent cette capacité à découvrir une source de lumière dans les situations les plus tragiques. L’écriture de Gary témoigne de cet humour, de cette dignité, de cette façon de retourner une situation tragique ou dramatique en quelque chose de lumineux; comme un instinct de survie. Il peut y avoir de la tristesse ou de la mélancolie, mais jamais de désespoir ou d’apitoiement." En écoutant les propos de son compagnon de jeu, Andrée Lachapelle pense à une phrase de Gary qui lui sert en quelque sorte de guide: "La vie est une course à relais où chacun, avant de tomber, devait porter plus loin le flambeau de la dignité humaine."

Bien qu’ils se mesurent à des figures historiques ou du moins à des personnages ayant existé, les deux acteurs se refusent à les voir autrement que comme des créatures de fiction. "Il faut raconter cette histoire, ce texte, sinon c’est trop lourd à porter", confie Goyette. Les deux pieds dans le sable de Big Sur, le narrateur-écrivain raconte son histoire et celle de sa mère. Ainsi, la célèbre plage américaine devient le théâtre de toute une vie, d’un pan entier du 20e siècle. "Il est seul sur la plage et des personnages issus de son passé apparaissent, explique la comédienne. Nous apportons certaines images à ce qu’il dit ou à ce qu’il a dans la tête. C’est comme si la plage était son imaginaire." Alors que Maxim Gaudette incarne l’écrivain dans la vingtaine, Gabriel Favreau et Aliocha Schneider se partagent le rôle de Gary enfant. Quant à Sharon Ibgui et Paul Savoie, ils endossent les habits de plusieurs personnages. "J’ai l’impression que les gens vont aimer ce texte et avoir envie de lire les autres livres de Gary, conclut Mme Lachapelle. C’est un hommage magnifique que l’écrivain rend à sa mère, qui s’est battue pour lui et qui en a fait un homme. C’est un hommage aux mères, quelles qu’elles soient."

Du 10 janvier au 4 février
Au Théâtre Espace Go
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LA VIE DEVANT SOI
Romain Gary a mené une vie de combats et de littérature. Né en Russie en 1914, venu en France, avec sa mère, à l’âge de 14 ans, il fait ses études secondaires à Nice et son droit à Paris. Engagé dans l’aviation en 1938, il termine la Seconde Guerre mondiale en héros. En 1945, il amorce une carrière de diplomate et publie son premier roman: Éducation européenne. En 1956, il obtient le Goncourt avec Les Racines du ciel. En 1961, il quitte la vie diplomatique à l’âge de 47 ans. En 1973, alors qu’il a déjà 19 romans à son actif, l’écrivain éprouve le sentiment de ne plus surprendre personne. Il se lance alors dans l’aventure Émile Ajar. Sous ce pseudonyme, à l’insu de tous et surtout de son éditeur, Romain Gary publie au Mercure de France Gros-Câlin, puis, en 1975, La Vie devant soi. Avec cet ouvrage, probablement le plus connu de toute son œuvre, il décroche un second Goncourt. Grâce à une savante supercherie, il est le seul auteur à avoir reçu deux fois la prestigieuse récompense.
Dans les premières pages de La Promesse de l’aube, un roman autobiographique poignant publié en 1960, Romain Gary résume toute la ferveur du lien qui l’unissait à sa mère. "Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné." La Promesse de l’aube est en quelque sorte un retour d’ascenseur, un magnifique hommage littéraire à une mère qui a tout donné à son fils, qui lui a surtout donné le droit de tout exiger. Cette mère était si forte qu’elle empêchait l’écrivain de désespérer, même dans les moments les plus difficiles. Pourtant, le 2 décembre 1980, Romain Gary se saisit du Smith and Wesson qu’il avait toujours à ses côtés, et se tira une balle dans la tête. Aujourd’hui, 25 ans après sa mort, il demeure plus que jamais nécessaire de se pencher sur l’immense héritage littéraire qu’il nous a légué. (C.S.-P.)