Philippe Lambert : Neige noire
Philippe Lambert dirige la création québécoise de Beaver, une pièce où la dramaturge ontarienne Claudia Dey allie poésie et lucidité.
L’automne dernier, au terme d’une résidence organisée par le Centre des auteurs dramatiques, Yvan Bienvenue, directeur de la compagnie Urbi et Orbi et cofondateur de Logos conterie (qui nous offre chaque Noël les fameux Contes urbains), mettait un point final à sa traduction de Beaver, une pièce de la jeune dramaturge ontarienne Claudia Dey qui a déjà connu plusieurs productions dans sa langue d’origine. Après en avoir orchestré la lecture publique en octobre, Philippe Lambert signe ces jours-ci la mise en scène de Beaver, une tragédie nordique à la fois tendre et brutale.
Sans délaisser le jeu et l’enseignement, le comédien Philippe Lambert s’intéresse de plus en plus à la mise en scène. Au cours des dernières années, il a dirigé deux des spectacles de La Roulotte (Le Capitaine Fracasse et La Grande Traversée) et, en mai 2005, Coin St-Laurent ou Les 5 Doigts de la Main, une enfilade de courtes pièces présentée à La Licorne. Diplômée de l’Université McGill et de la section anglaise de l’École nationale de théâtre, Claudia Dey connaît bien Montréal. Aujourd’hui établie à Toronto, la jeune femme a plusieurs pièces à son actif (outre Beaver, mentionnons The Gwendolyn Poems et Trout Stanley) et travaille à l’écriture d’un roman. C’est par l’intermédiaire d’une amie comédienne que Philippe Lambert a découvert cette plume singulière. "Ç’a été un coup de foudre, explique le metteur en scène. C’est une parole unique, très originale et personnelle, une langue très crue, très rythmée, des personnages bruts. C’est une histoire de femmes comme on n’en voit pas souvent!"
UNE TRAGICOMÉDIE
L’histoire se déroule à Timmins, une ville minière du Nord de l’Ontario où il neige même le jour du solstice d’été. Retenue dans un territoire sans horizon, dans le ventre d’une société résignée et stagnante, Béatrice (Brigitte Lafleur) doit surmonter les blessures du passé. Sous nos yeux, la fillette se mue en jeune femme. Pour ce faire, elle doit lutter farouchement contre la misère fataliste de sa famille. Entre le jour du suicide de sa mère Rose (Johanne Haberlin) et l’été de ses 17 ans, Béatrice parvient à se soustraire au monde qui l’entoure en devenant Beaver.
Autour de cette attachante héroïne évolue une galerie de personnages aussi truculents que détestables: Edna (France Arbour), la grand-mère alcoolique, Silo (Gérald Gagnon), un père absent et assoiffé, Cowboy (Jean-Antoine Charest), un ami de ce dernier, Nora (Alexandrine Agostini) et Sima (Marie-Josée Bastien), les deux tantes impossibles et Dorris (Marie Charlebois), une amie de la mère de Béatrice plutôt fantaisiste. "C’est l’histoire d’un affranchissement par rapport à une fatalité, explique Philippe Lambert, celle d’un bled qui a tendance à entraîner ses habitants vers le fond."
On peut qualifier Beaver de tragicomédie, au sens où le texte introduit des dialogues réalistes dans des atmosphères oniriques. Il en résulte des tableaux bien singuliers, des échanges aux répliques acerbes, étrangement chargées de drôlerie. "Il y a de la misère intellectuelle, précise le metteur en scène. C’est dur, les rapports sont durs, mais ce n’est jamais hyperréaliste, il y a des moments très audacieux, un peu baroques, symbolistes. Les dialogues sont très drôles, les conflits entre les personnages sont riches et bien campés. Il y a des scènes presque clownesques et d’autres complètement dramatiques."
La pièce de Claudia Dey semble s’inscrire dans la lignée de celles, irlandaises ou écossaises, qui ont transporté les spectateurs du petit théâtre de l’avenue Papineau au cours des dernières saisons. Parions que le destin de Beaver saura en faire tout autant.
Du 10 janvier au 4 février
Au Théâtre La Licorne
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