Brigitte Haentjens et Louise Dupré : De mères en filles
Brigitte Haentjens et Louise Dupré collaborent à la création de Tout comme elle, un spectacle abordant, avec l’aide de 50 comédiennes, le thème inépuisable de la relation mère-fille.
Depuis qu’elle a fondé la compagnie Sibyllines, il y a près de dix ans, la metteure en scène Brigitte Haentjens n’a de cesse d’éclairer les moindres replis de la psyché féminine, chaque fois avec la plus grande des pertinences. Au cours des ans, œuvrant avec liberté et audace, elle a fait retentir les voix d’écrivaines majeures, des paroles de femmes cruciales: Ingeborg Bachmann (Malina), Dacia Maraini (Marie Stuart), Marguerite Duras (L’Éden cinéma). En 2004, Brigitte Haentjens portait brillamment à la scène La Cloche de verre, un roman-culte de l’Américaine Sylvia Plath. Conséquence, le spectacle a raflé cinq prix lors de la plus récente Soirée des Masques, dont celui de la production "Montréal". Bien sûr, on a récompensé l’exceptionnelle performance de Céline Bonnier, mais aussi la mise en scène, la conception sonore et celle des costumes. Ces jours-ci, la directrice de Sibyllines se fait plus rassembleuse que jamais. Autour d’elle et d’un texte de Louise Dupré intitulé Tout comme elle, 50 comédiennes se sont spontanément (et certaines inconditionnellement) ralliées.
Ce projet est au confluent de deux sources. Tout d’abord, il y a cette envie, pour ne pas dire ce fantasme, que Brigitte Haentjens nourrit depuis longtemps: diriger 50 actrices sur une même scène. "C’est un vieux désir, explique-t-elle. Je ne sais pas pourquoi, mais il y a au moins une dizaine d’années que j’ai ça en tête. J’ai toujours adoré les spectacles où il y a beaucoup de monde sur scène." À ce désir initial est venue se greffer une collaboration avec Louise Dupré, poète, romancière, essayiste et grande admiratrice du travail de la metteure en scène. "Ce n’est pas si fréquent qu’il y ait des artistes chez qui on sent une sorte de correspondance, des affinités avec son propre travail, estime l’écrivaine. J’ai dit à Brigitte à quel point j’aimais sa façon de mettre en scène, de monter les textes. On a appris à se connaître tranquillement, on s’est apprivoisées." Ensemble, les deux créatrices ont choisi d’aborder l’épineuse relation mère-fille ou, plus précisément, cette rupture et cette réconciliation nécessaires avec la mère pour parvenir à être femme.
AUX SOURCES DE LA FÉMINITÉ
Depuis 20 ans, Louise Dupré poursuit, avec des ouvrages comme La Peau familière, Noir déjà et La Memoria, une quête lucide et déterminée de l’identité féminine. Avec Tout comme elle, elle signe un texte bouleversant, une savante organisation d’instantanés poétiques, une suite de troublantes confessions dont Brigitte Haentjens a tiré une œuvre théâtrale et chorale pour 50 comédiennes. "J’entends ce texte comme une voix unique et continue, explique la metteure en scène, celle d’une écrivaine qui plonge en elle-même et qui revoit toute son existence. Ce n’est pas un texte psychologique ou explicatif, c’est un texte qui réfléchit sur la relation mère-fille en laissant une part d’ombre, un mystère incroyable. C’est paradoxal parce qu’il s’agit d’un texte très intime, d’une œuvre très introspective qui aurait très bien pu être interprétée par une ou deux actrices." La metteure en scène a donc pris un certain nombre de libertés avec le matériau initial (d’ailleurs fraîchement publié aux éditions Québec Amérique, dans la collection Mains Libres), une appropriation que Louise Dupré accueille fort bien. "Dès le départ, il était entendu que Brigitte pouvait faire sa propre interprétation du texte. En comparant le livre au spectacle, on pourra voir le travail de création des deux." "En réalité, le texte du spectacle est très fidèle à la structure profonde du texte de Louise, ajoute Haentjens. Mon défi a été de rendre ces mots présents par la voix, mais aussi par le corps des interprètes."
Je suis tout comme elle, peut-on lire dans le communiqué de presse du spectacle. Je suis tout comme cette femme d’où je viens et à laquelle je ressemble, mais le lien qui nous unit souvent me ravage et il me faut rompre avec elle pour parvenir chez moi, dans ce qui m’est propre. "Ce texte n’est ni un hommage ni un règlement de comptes, explique Louise Dupré, il s’agit d’un essai de s’approcher de cette relation pour savoir ce qu’elle est, de quoi elle est faite." Une mère peut-elle ne pas aimer sa fille, préférer sa sœur, son frère, être en compétition avec elle? Une fille peut-elle souhaiter la mort de sa mère? Ce sont quelques-uns des tabous auxquels l’auteure de Tout comme elle ose s’attaquer. "J’écris pour poser des questions, pour faire en sorte qu’on s’interroge sur la vie. Dans le fond, écrire pour écrire ne m’intéresse pas. Je veux arriver à mettre des mots sur des émotions ou des réflexions que je me fais ou que j’entends autour de moi. Ça ne vaut pas le coup de répéter des banalités."
Parmi tous les thèmes que le spectacle aborde, par le biais de cette si déterminante relation mère-fille, c’est la définition même de la féminité qui habite le plus Brigitte Haentjens. "Qu’est-ce qui est si spécifiquement féminin? Quel est l’ensemble des signes qui m’ont été donnés qui sont de l’ordre du féminin? Je pense au conditionnement social, aux bonnes manières, à l’éducation, à la Vierge Marie, etc." Rapidement, c’est à l’idée de transmission que cette réflexion sur l’identité féminine nous amène. "Nous sommes légataires de l’histoire des femmes, poursuit la metteure en scène, du bien comme du pas bien. Tu ne transmets pas à ta fille seulement les dix dernières années, tu lui transmets l’histoire." Puis surgit, inévitablement, la question du féminisme. "Oui, affirme Haentjens, le spectacle est féministe puisqu’il est question du progrès social et personnel des femmes. Moi, personnellement, comme femme et comme artiste, je veux me désaliéner, grandir, me définir par rapport à moi-même et non par rapport au modèle dominant. Si le spectacle permet à ceux qui le verront, hommes ou femmes, de comprendre un peu mieux qui ils sont, d’où ils viennent et qui les environne, ce sera formidable."
JANINE SUTTO
"L’harmonie entre une fille et sa mère dépend des périodes de la vie. La relation mère-fille, c’est délicat parce que c’est grave, il y a beaucoup de parts d’ombre. Avec un tel sujet et 50 actrices constamment sur scène, c’est ce qu’on appelle un spectacle hors norme. Quand j’ai accepté, je n’avais aucune idée de ce que ça allait être, mais on n’a pas besoin de savoir quand on a confiance."
AMÉLIE CHÉRUBIN-SOULIÈRES
"Qu’est-ce qui fait d’une femme une mère? Est-ce le fait de donner la vie ou celui d’élever un enfant? Durant la création du spectacle, j’ai réalisé que la relation qu’on a avec sa mère n’est pas seulement une question de sang, mais d’amour et d’une foule de détails de la vie quotidienne. En même temps, comme j’ai été adoptée, je ne peux pas oublier celle qui m’a donné naissance. Chose certaine, ma mère m’a donné le meilleur d’elle-même, et si un jour j’ai une fille, je compte bien en faire autant."
CÉLINE BONNIER
"Chaque fois que Brigitte génère un projet, c’est toujours nourrissant, profond et pertinent. La relation mère-fille est un sujet complexe, où il y a énormément de matière à fouiller. Participer à une création avec 50 actrices, c’est une expérience unique. Comme je sors d’une aventure solo, ça me plaisait de ne pas avoir le poids du spectacle sur les épaules, mais d’être une partie dans un tout, une cellule dans un corps collectif."