Grace et Gloria : Hymne à la vie
Scène

Grace et Gloria : Hymne à la vie

Avec Grace et Gloria, Viola Léger et Danielle Grégoire prennent le chemin d’un rendez-vous qui a été fixé il y a longtemps. Rencontre sur la scène et dans la vie de deux femmes exceptionnelles.

À l’image des personnages qu’elles incarnent dans Grace et Gloria de l’Américain Tom Ziegler (dans une traduction de Michel Tremblay), les deux comédiennes sont issues de générations, de régions et d’expérience différentes. Il y a longtemps que l’homme qu’elles ont en commun dans leur vie, Gilles Provost, avait dans le collimateur de réunir ces deux grandes dames sur les planches dans son joli nid qu’est le Théâtre de l’Île. Entre les deux femmes, le coup de foudre artistique fut instantané. Rien de surprenant si on songe aux grandes qualités qu’elles partagent: leur grande ambition, leur générosité sans borne, leur naturel et leur authenticité…

Danielle Grégoire raconte le premier contact qu’elle eut avec la grande comédienne, à qui on doit les traits de la Sagouine: "Louise Campeau, qui travaillait sur le décor d’Évangéline Deusse, m’avait dit: "faut que tu voies Viola Léger entrer et sortir de sa loge!" Louise était fasciné par ça parce que Viola laisse tout son ego de côté, c’est presque religieux, elle entre dans sa loge, "au revoir Viola", elle sort puis c’est Évangéline Deusse. Ça m’a bouleversée, affirme la comédienne de l’Outaouais. Ensuite, Viola est venue à mon solo (Neuf Mois) le soir de la première et elle m’a envoyé des fleurs comme pour dire "je suis là". On s’est envoyé des fleurs longtemps, ça fait un bout de temps que l’on se "cruisait"; avec les années, on avait tellement hâte!"

LA GRÂCE

La pièce Grace et Gloria raconte l’histoire de deux femmes qui se côtoient à des moments cruciaux de leur vie. Grace, une nonagénaire malcommode en phase terminale se fait accompagner par la bénévole Gloria, femme raffinée dans la quarantaine qui vient de perdre un être cher. "En partant, Grace et Gloria ont des éléments en commun, mais elles ne le savent pas. La vieille Grace ne peut pas savoir ce qui brasse Gloria, avec son âge – 90 ans – ou bien tu es aveugle, ou bien tu vois trop clair. Mais tranquillement, elle voit pas mal vite ce qui se passe", explique la comédienne acadienne qui a pris sa retraite comme sénatrice récemment.

Danielle poursuit: "Presque tout les sépare au départ, elles sont de milieux différents; c’est une sudiste et l’autre, une nordique, une femme de la grande ville et une femme du fin fond des bois. Déjà, tu as des antipodes et puis tu as l’attirance des contraires qui crée des frictions. Pendant tout le spectacle, Gloria dit "laissez-moi vous aider" et Grace répond toujours "je suis capable tout seul!""

"Puis ensuite, ni l’une ni l’autre ne lâche. Grace aurait pu jeter Gloria dehors si elle voulait et Gloria prendre la porte si ça lui disait, mais elles n’en font rien…" continue Mme Léger.

Au fil de l’entrevue, il ne fait aucun doute que les femmes s’apprécient et ont bâti des liens forts au cours de leur périple. Parce qu’avant de se rendre à Gatineau, la pièce a été créée à Saint-Boniface au Manitoba et a effectué une petite tournée dans l’Ouest canadien. Une tournée qui a ramené avec elle son lot d’anecdotes et d’historiettes que les deux femmes livrent ici allègrement, fidèles à leur caractère généreux: le fait que la jeune fille de Danielle voulait aller chercher "Voilà" – comme elle l’appelle – à l’aéroport et l’otite aiguë qui a affecté l’audition de Danielle pour plusieurs représentations… Mais ce qui ressort surtout, c’est le plaisir qu’elles ont à vibrer sur scène côte à côte tels des instruments à air dans un duo musical.

LA GLOIRE

À l’âge de 75 ans, Viola Léger pratique le métier depuis près de 35 ans, alors que Danielle Grégoire vient d’ajouter une corde à son arc: elle a dû remplacer tout de go à la direction du Théâtre de l’Île, Gilles Provost, qui a dû s’absenter ces derniers mois. "Tout d’un coup, je n’avais pas du tout la même préparation que je voulais, j’avais de la "broue" dans le toupet, j’étais un peu dépassée par ça, j’avais peur de ne pas avoir le temps de tout faire. Je me suis arrêtée et je me suis dit que j’avais tout ce qui me fallait, un cellulaire, un ci, un ça, pour être capable de régler les affaires même à distance. Ainsi, comme Gloria, je devais courir d’un bout à l’autre pour régler les problèmes, pour faire les appels, etc. Là, je me suis rendu compte que j’avais une préparation inespérée pour le rôle de Gloria!"

"Et j’étais bien contente d’être envahie par elle. Viola voyait ça à Winnipeg, j’allais "shopper", je faisais mes ongles, bref, je me "glorialisais"! Gloria est très coquette, très class", confirme Danielle.

Dans tout ce tourbillon, elle a aussi dû trouver un nouveau metteur en scène rapidement, pour remplacer Gilles Provost. Elle a ainsi placé toute sa confiance en la personne de Sylvie Dufour, directrice du Théâtre du Trillium d’Ottawa et ancienne collègue d’université de Danielle. Un choix qui a comblé les deux comédiennes sans contredit.

Quant à Viola Léger, le rôle de Grace lui était très familier puisqu’elle l’a joué à plus de 200 reprises avec Linda Sorgini, les deux femmes remportant ex æquo le Masque de l’interprétation féminine en 2001. "Je dis souvent… je ne peux plus jouer les Marilyn Monroe… Je veux dire par là que je suis rendue où je suis rendue, je suis chanceuse, la retraite à 65 ans, ça n’existe pas dans le métier. Il y a beaucoup de rôles âgés, Janine Sutto joue encore, Janette Bertrand est encore là."

Et en ce qui a trait au thème de la mort, sujet délicat à aborder au théâtre, Mme Léger a été instinctive: "Je pense que j’aurais pu faire énormément de recherche, dans les universités, les hôpitaux, mais ça ne m’a pas pris plus qu’une demi-heure pour aborder cette question. J’ai pensé, non, ce serait trop long, ce sont des études ça, moi, je veux devenir Grace face à la mort; j’ai choisi de mettre un point d’interrogation pour la personne qui meurt et pour les autres qui la surveillent, on ne sait pas ce que c’est que cette mort."

Avec l’entrevue qui prend fin, le déjeuner terminé et la tempête qui s’est calmée dehors, Viola Léger soupire: "Avec la Sagouine et Évangéline Deusse, le rôle de Grace a certainement une grande place dans ma carrière. J’ai commencé en retard le métier de comédienne; comme je dis, je suis une "comédienne retardée", ricane-t-elle. Il n’y a pas de fin dans ce métier, la seule fin qui existe pour moi, c’est le souffle, l’usure des nerfs, puis, mon dieu que l’hiver nous vieillit!"

Danielle: "Il faut honorer ses limites, les embrasser, parce qu’elles nous protègent. Si on ne les respectes pas, on ne va jamais les dépasser."

Viola: "Tu m’écriras ça."

Danielle: "C’est bon, hein? Mais ce n’est pas de moi…"

Viola: "Pas de différence qui l’a dit… Veux-tu m’écrire ça avant ce soir?"

"Oui, je vais l’écrire tout beau, je vais me forcer", répond gaiement Danielle alors que Viola Léger lui renvoie son sourire.

Jusqu’au 18 février
Au Théâtre de l’Île
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