Fred Pellerin : Dompteur de contes
Scène

Fred Pellerin : Dompteur de contes

Fred Pellerin devient de plus en plus un personnage. Ce petit gars qui part de chez lui, à Saint-Élie, avec sa guitare le matin, fait courir des foules de plus en plus nombreuses dans toute la province.

Peut-être est-ce en réaction au froid monde du virtuel et à la distance créée par les nouveaux moyens de communication. On cherche l’intime, on veut se rapprocher entre nous, mais aussi des gens qu’on ne voit plus… Ceux qui passent inaperçus sur la rue principale de quelque village inconnu. Ou ce voisin qu’on croise sans regarder.

Le conte a toujours su se renouveler au fil du temps, et si aujourd’hui il n’échappe pas à la logique marchande, c’est pour mieux reprendre sa place dans le cœur et l’imaginaire des gens. Il est de plus en plus ancré dans les esprits que le conte n’est pas réservé aux enfants. Pourtant, de tout temps, le conte s’est aussi adressé aux adultes, et même parfois exclusivement à eux. Depuis quelques années, porté par une nouvelle vague de conteurs, le genre reprend des lettres de noblesse… Pour Fred Pellerin, il s’agit plutôt d’un artisanat: "Pour moi, c’est vraiment un métier de "bizounage", c’est du tressage de fils. J’suis pas un "butcheux", mais y’a des franges… Y’a des fils qui dépassent. Dans ma tête, j’ai pas une grande réflexion "esthético-machin chouette" de l’amanchure de contenant… J’ai pas la théorie, pis la démarche artistique…" Ce qui ne l’empêche pas d’inspirer de jeunes chercheurs en littérature. Parlant d’un étudiant de l’UQTR qui s’intéresserait à son œuvre pour un mémoire de deuxième cycle, Fred est complètement retourné: "Ça me fait vraiment d’quoi… Une maîtrise sur moi… J’ai même pas de maîtrise… Sur le coup, ça surprend. Après, ça flatte un peu aussi, parce que… en fait, on court après ça. T’écris un mot pis t’espères juste qu’il va résonner dans d’autres oreilles. Ça fait qu’en même temps, ça m’dit qu’ils pètent, mes mots, ils résonnent. Ça pourrait me mener à chercher; si j’avais trois mois de vacances, probablement que j’me péterais des angoisses là-dessus. De temps en temps, j’me dis que s’il fait une maîtrise sur mes textes, p’t-être bin qu’il va trouver de quoi… J’aimerais ça…"

Ses trois mois de vacances ne seront pas pour bientôt. Avec 107 spectacles prévus cette année, au Québec et en Europe, les angoisses n’auront pas le temps d’accaparer son esprit.

ON NE BADINE PAS AVEC LE DIABLE

Chaque jour un peu plus épaté par la réponse du public, il tente souvent de comprendre, comme bien d’autres qui voudraient peut-être prendre sa place, quelle est la clé de son succès. Interrogé quant à un hypothétique pacte avec le diable, ce qui se voulait de prime abord une boutade, il reçoit la question avec aplomb et sérieux: "Non, moi, j’ai pas… J’me suis tenu loin de ça au boutte. C’est pas ça, mais il y a d’quoi… Il y a d’quoi…", laissant planer les volutes du mystère autour de son succès.

Car c’est d’un véritable succès dont on parle. Les supplémentaires se multiplient pour son spectacle, toujours à guichets fermés: on le demande partout avec le même empressement.

Sa dernière invitation à partager la scène avec son frère Nicolas Pellerin (violoniste pour Yves Lambert) au Gala Excellence La Presse en est une preuve éloquente, alors qu’il a donné sa voix à la chanson J’ai planté un chêne de Gilles Vigneault.

Mais ce choix des organisateurs n’était pas fortuit: le conteur et le poète sont mus par la même philanthropie, qui les pousse à parler des bonnes gens. Parlant de Vigneault, Pellerin raconte: "Il parle beaucoup de nommer. Nommer les gens, nommer le monde. Pour lui, parler du vieux Nérée, c’est une façon de le faire passer à l’histoire. Y s’dit: "Si j’le nomme pas, personne va le nommer…" Pour moi, y’a un souci de magie et d’enchantement que j’ai aussi dans le fait de nommer. Mais lui, il a toujours une dimension poétique, il a toujours des MOTS, des mots majuscules. Il parle en lettres majuscules, j’pense qu’il est sur Caps Lock avant de parler." N’émettant pas là une critique autant qu’une marque de respect, il se défend bien de parler joual: "Moi, je crois à une langue québécoise. Je sais pas le mot… On peut prendre joual, si on l’élargit dans sa définition. Une langue vivante, en tout cas, une langue d’invention, un français qui explose dans la bouche pis qui goûte pas juste la feuille de grammaire, mais qui est ouvert à l’évolution, à l’invention."

LA VOIX D’UN COIN D’PAYS

Fred Pellerin est comme un grimoire qui renferme toute la magie de Saint-Élie-de-Caxton, puisqu’il parle à livre ouvert des gens de chez lui. Maître de l’anecdote, il disparaît derrière les histoires qu’il raconte, joue avec les racontars, devenant rien de plus qu’une bouche qui profère ses histoires, qu’une parole conteuse. "Les gens de là dépassent de beaucoup l’ampleur de ma bouche à moi. J’ai la circonférence buccale qui se fait clencher bin raide par la grandeur de ces personnes-là. En fait, j’pense à déplacer l’focus un peu. Y’a du monde qui commence à appeler à Saint-Élie… J’leur dis: "Cherchez-moi pas! Cherchez pas ma maison, allez voir Léo Désiel…" J’comprends, parce que c’est encore du légendaire, ou une aura de mystère… C’est l’fun d’avoir un monde dans ta tête qui fait des échos dans la tête des autres!" Le conteur travaille à partir de divers matériaux: bavardages, commérages et ragots. En fait, il met le feu aux poudres, dans sa petite bourgade devenue mythique, pour qu’ensuite les histoires explosent au grand jour. "Saint-Élie, c’est devenu un peu le laboratoire dans lequel je fais des vagues pour créer des histoires… J’pars des rumeurs… Ah oui, j’fais ma part… Énormément…" Et en spectacle, il se laisse emporter par le public, qui se trouve pendu à ses lèvres travestissant à peine des pans de l’histoire de son hameau natal.

Fred Pellerin, c’est la mémoire qui se dit, le récit vivant… le souvenir peut-être charlatan. Que ce soit vrai ou non importe peu: il ressuscite le passé, expose les grandes histoires des petites gens, en fait des monuments.

UNE LIBERTÉ À DOMPTER…

La liberté du verbe est certainement l’une des caractéristiques les plus notables des conteurs. Ils sont des dompteurs de contes, n’acceptant jamais de les maîtriser totalement, voguant sur une trame de fond qui leur réserve toujours des surprises. Aucun des textes de Pellerin n’est préétabli, fixé. Bien sûr, il sait quelles histoires il racontera, mais jamais comment il le fera. Il relate sans se contraindre à une tournure ou à une limite de temps. Ainsi, de façon ponctuelle, il doit réorganiser son spectacle… "On est à amputer des affaires parce que le show était long… La première partie était rendue à 1 heure 25, ça a plus d’bon sens… Ça fait qu’là, on a coupé de beaucoup, on est à 1 heure avant l’entracte, 45 minutes en deuxième partie. C’est parce que moi, j’en rajoute un p’tit peu tout l’temps…"

Lorsque vient le temps pour lui de fixer ses textes pour en faire des livres, il ne fige pas définitivement ses contes… "En fait, c’est comme une version. Admettons que je la conterais à soir, ma suite de contes… Elle va m’exploser dans la bouche à la façon "à soir". La même histoire, mais livrée de façon différente. Quand je les écris, c’est un peu ça. Je me suis assis une fois, les mots ont sorti là, pis ça a été c’que c’est. Moi, je joue à me surprendre aussi, pis à surprendre les techniciens… Je fais des jeux… Si tu dis toujours le même texte, t’es écœuré de l’faire. Ça fait que j’essaie de renouveler un peu chaque soir, pis d’rajouter des niaiseries; que j’le veuille ou non, il me vient des idées…"

C’est ainsi que se forgent continuellement les récits les plus enchanteurs, qu’ils restent en vie. On en vient à se dire que s’il ne restait plus qu’une mémoire, il faudrait que ce soit lui qui la détienne, question de nous sortir, une fois de temps en temps, des fanges de l’oubli.

Les 19 et 20 janvier
À l’Auditorium Dufour
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