Britannicus : Jeux de pouvoir
Scène

Britannicus : Jeux de pouvoir

Britannicus emprunte les traits de Maxime Denommée dans une mise en scène de Martin Faucher. Nous avons rencontré tour à tour le metteur en scène et l’acteur.

"C’est l’une des pièces que j’ai eu à affronter où la psychologie des personnages est la plus nuancée", nous dit Martin Faucher. "On pourrait penser qu’avec Racine, la forme littéraire l’emporte sur une certaine psychologie, une certaine complexité, mais, au contraire, cette forme très virtuose, très raffinée, entraîne une immense complexité psychologique."

Tragédie de Racine écrite en vers en 1669, souvent qualifiée de "pièce des connaisseurs", l’œuvre nous plonge dans la politique de la Rome antique (terrain de jeu jusque-là dominé par Corneille) et met en scène Néron, Agrippine et Narcisse, personnages aussi retords qu’influents, de même que Britannicus le pur. Jalousie, jeux de pouvoir, triangle amoureux et même parricide, le théâtre de Racine interroge autant les pouvoirs du langage que ceux de la société.

Lui-même jeune poète subventionné, l’auteur n’a pas eu la tâche facile pour se créer une place dans l’univers des lettres, et c’est dans ce contexte qu’il entame une œuvre politique des plus incarnées. "On travaille le rythme par le pulsionnel, poursuit Faucher, et ça donne quelque chose de très sauvage, de très brutal. C’est une langue et un univers très violents. Ce sont des émotions excessives et des situations extrêmes qui amènent ça. La Rome antique implique un fantasme de violence et ça déclenche ça en nous, les spectateurs. J’imagine que la cour de Louis XIV était aussi un monde très violent; il fallait toujours prouver sa brillance, sa pertinence, sa spécificité pour demeurer dans les grâces. Tout le parcours de Racine pour s’approcher du roi, se faire une place dans le Paris mondain, nécessitait probablement une grande violence de raffinement. Montrer sa supériorité par les arts et, en même temps, une pulsion violente."

Maxime Denommée, qui l’an dernier incarnait, entre autres, un délinquant enragé dans Howie the Rookie, se retrouve maintenant à jouer le bon dans un univers extrêmement différent, mais tout aussi virulent et irascible. "C’est très jouissif d’entrer dans ces zones assez violentes, dit-il. Et si Britannicus représente la bonté, j’essaie quand même de lui donner un côté qui ne soit pas mou, de montrer qu’il est capable de dureté. Il voudrait bien le trône, or il est seul, il n’a pas d’appui." Britannicus doit affronter seul les monstres qui l’entourent, mais, en parallèle, il vit une histoire d’amour avec Junie (Geneviève Alarie).

"L’amour est représenté par Britannicus et Junie, poursuit Denommée. Cette dernière plaît aussi à Néron (Benoît McGinnis), d’ailleurs. Néron est au pouvoir, il est influencé par toutes sortes de gens, mais il a un coup de foudre pour Junie. Seulement, il ne sait pas comment faire. Il est jaloux et envieux du caractère aimable de Britannicus, qui est capable d’aimer et d’être aimé. Lui, il a été élevé comme un monstre et il ne sait pas quoi faire avec les bons sentiments. J’imagine que les adolescents vont beaucoup s’accrocher à ce triangle amoureux qui prend une place importante dans la pièce, car ce sont des choses qui risquent de leur parler davantage que l’ancienne politique romaine."

La langue, le rythme de la pièce entraînent autant dans les excès que dans certaines ambigüités, notamment avec des personnages comme Agrippine (Dominique Quesnel) et Néron. "Il y a une intrigue, une mécanique théâtrale de jeu de confession, de jeu de trahison et de perversion. Vraiment, sur scène, on joue sur cette mécanique avec les bons et les méchants, les victimes et les abuseurs, explique Faucher. Il y a quelque chose dans la proposition de Racine qui n’est pas du tout intellectuel, mais qui est complètement pulsionnel, avec des personnages faits de chair et de sang."

"Il faut mordre dans les vers comme s’ils n’en étaient pas, affirme Denommée. À la première lecture, ça donne une idée romantique, mais il faut briser ça pour que ça reste concret. Il faut éviter de déclamer." Ainsi, la langue ne demeure pas coincée dans son époque, et la pièce sera aussi portée par un regard contemporain: "C’est relativement intemporel dans sa facture esthétique, dit Faucher. On ne peut d’ailleurs pas monter Racine en passant à côté des sensibilités actuelles. C’est quoi le pouvoir et la corruption en 2006? C’est quoi la décadence et le besoin d’exister en 2006? Tous ces sentiments indémodables amènent aussi à des comportements violents de maintenant, et ils ont servi de moteur à la mise en chantier du spectacle."

Jusqu’au 17 février
Au Théâtre Denise-Pelletier
Voir calendrier Théâtre