Corpuscule Danse : Réinventer la roue
La compagnie Corpuscule Danse rend hommage à la vie dans Le Baiser, une œuvre pour bipèdes et fauteuil roulant.
Pionnière de la danse intégrée au Québec, la danseuse tétraplégique France Geoffroy se creuse tranquillement une place dans le milieu professionnel au fil de ses incursions sur les scènes d’ici et d’ailleurs. Elle a d’ailleurs ému le public de Tangente en octobre dernier dans une pièce programmée dans le cadre de la série Corps atypiques. En 2001, elle s’était associée à une danseuse de formation classique, Martine Lusignan, et à un spécialiste du contact-improvisation, Isaac Savoie, pour créer Corpuscule Danse. "Après trois ans de collaboration, nous avions établi une belle complicité et nous étions à la recherche d’un créateur québécois pour donner une dimension plus théâtrale à notre travail", raconte France Geoffroy. Ils ont rencontré Johanne Madore et ça a donné Le Baiser, une pièce qui fait écho à un tableau de Klimt et dont l’idée est que tout acte créateur est un acte érotique.
Pour Johanne Madore, artiste multidisciplinaire habituée à intégrer objets, lumière, musique et interprètes, il s’est agi de créer une harmonie en apprivoisant le fauteuil pour parvenir à le transcender. "Le travail a été lent, tout en subtilité, confie la chorégraphe et metteure en scène. J’ai cherché à donner de nouveaux sens au fauteuil et à en dégager les aspects poétiques. Un des défis que je me posais aussi, c’était que les spectateurs se voient dans les danseurs et qu’ils oublient la présence du fauteuil." Consciente du côté fonceur de France Geoffroy et sachant qu’elle ne tolère ni complaisance ni pitié, Johanne Madore ne s’est pas privée de lui faire prendre des risques. "La chorégraphie utilise beaucoup les murs, l’escalier et la passerelle d’Espace Libre, explique-t-elle. Et certaines figures nous ont valu quelques chutes mémorables en répétition, comme les passages où le fauteuil est en plan parallèle au plancher."
Pour cette pièce aux variations acrobatiques, Pierre-André Côté s’est joint aux trois comparses de Corpuscule Danse. Comédien, acrobate et danseur, il déploiera également ses talents de musicien pour quelques interventions live dans la trame sonore de Claude Fradette et de Paul Hubert. Et même si l’on parle de théâtralité, aucun des interprètes n’use de la parole au cours du spectacle. Car selon le principe du théâtre physique, c’est le corps qui raconte par le sens qu’il porte. "La texture du mouvement et la chorégraphie imposent des images, les paysages visuels, sonores et émotifs sont très variés, commente Johanne Madore. Le spectacle est un voyage entre rêve et réalité. Les mouvements sont étranges, évocateurs de formes végétales et animales. C’est très fluide, à la fois très organique et très humain." Poésie, humour, colère, tendresse, douleur… Il y a un peu de tout ce qui peut nous toucher dans cette fresque impressionniste sur fond d’humanité. "Les danseurs se nourrissent et se soutiennent mutuellement en permanence. Ils créent ainsi une synergie érotique et amoureuse et rendent un bel hommage à la vie", conclue la chorégraphe.