Joël Beddows : Le jardin aux portraits
Scène

Joël Beddows : Le jardin aux portraits

Avec La Société de Métis, Joël Beddows signe la mise en scène d’une pièce énigmatique où la beauté d’un éden paradisiaque contraste avec la laideur du narcissisme des êtres. Rencontre avec l’architecte théâtral.

Joël Beddows

n’en est qu’à sa cinquième mise en scène et, pourtant, on imagine qu’il a des décennies d’exploration scénique derrière lui tant son discours est juste et réfléchi. Intéressé depuis un moment par l’esthétique de Normand Chaurette, il avait hésité entre deux de ses œuvres: Provincetown Playhouse, juillet 1919, j’avais 19 ans et La Société de Métis. Ayant déjà inclus deux collaborateurs dans son projet – le comédien et directeur artistique du Théâtre français de Toronto Guy Mignault ainsi que le scénographe et directeur artistique du Théâtre Blanc de Québec, Jean Hazel -, il tranche pour La Société de Métis.

Considérée comme une "œuvre de jeunesse" par son auteur, La Société de Métis (1983) prend racine dans les rutilants jardins de Métis-sur-mer, où règne l’imposante et milliardaire Zoé Pé (Érika Gagnon). Entourée de trois invités – le bel aveugle Octave Gredind (Hugo Lamarre), l’enflammée Pamela Dicksen (Lina Blais) ainsi que le mystérieux capitaine des pompiers Casimir Flore (Guy Mignault) -, elle profite de son domaine fastueux où elle a tout acheté, jusqu’à sa propre fleur. Par un après-midi ensoleillé, elle se rend compte qu’un peintre, caché dans l’ombre des marais, esquisse des portraits d’elle et de ses amis. Dès lors, une seule idée l’obsède: celle de gagner l’éternité en se procurant les tableaux. Et rien ne l’arrêtera pour y parvenir.

"On est carrément dans le kitsch, remarque le metteur en scène. Ces icônes existent dans un monde de trop-plein. Il y a trop d’objets dans la maison, il y a ce désir d’immortalité trop présent… Un trop-plein d’alcool, un trop-vide de sens dans la vie, tout est énorme."

Écrite depuis plus de 20 ans, la pièce a été retravaillée par son auteur, lui donnant encore plus d’éclat dans la poésie étrange qui lui est propre, et tenant compte de la vision de Joël Beddows. "Il y a toutes sortes de références au rêve dans le texte; c’est le rêve du passé, du souvenir des étés qui nous ont marqués. Et la partie noire est tout aussi riche, celle de la hantise du sujet pour le créateur. C’est quelque chose qui me tourmente. Ces sujets qui nous hantent…"

Esthète, Joël s’imprègne habituellement d’un artiste-peintre ou d’un tableau en particulier pour en faire la source d’inspiration de sa mise en scène. La pièce étant déjà fortement imagée et influencée par l’art de la peinture, qu’en est-il pour cette production? "Ce sont les cadres qui m’ont inspiré cette fois-ci, lâche-t-il. Parce qu’un encadrement est en quelque sorte une mise en contexte qui projette le sujet vers l’esthétisme." Après avoir réfléchi longuement, il renchérit: "Je crois que je ne suis pas allé avec des tableaux cette fois-ci parce que c’est quelque chose de structurel, voire structural. Dans la conception du jeu, dans la conception des corps, dans l’espace."

Traversée par la légende de Narcisse, la pièce, en fragments et en miroirs, traduit bien le sentiment qu’on a rattaché à la mythologie grecque. "Le questionnement qui se rapporte à Narcisse porte sur la création artistique comme un acte narcissique. En ce sens que le "moi" et le "je" se retrouvent toujours dans une œuvre, peu importe ce qu’on fait et aussi abstraite soit-elle. Le créateur n’y échappe pas, c’est comme le mal qui accompagne le bien, c’est la création. Et c’est très paradoxal. En tant que créateur, il y a une partie très généreuse dans ce que je fais et il y a une partie très narcissique.", note Beddows. Truffée de symboles, la pièce allie réflexions sérieuses et humour singulier sur les questions de la place de l’art dans nos vies et dans la société.

Jusqu’au 12 février
Au Théâtre Périscope
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