Philippe Soldevila : Droit de cité
Scène

Philippe Soldevila : Droit de cité

Philippe Soldevila signe la mise en scène de Bhopal, un drame social et politique de Rahul Varma.

Metteur en scène, auteur et ancien collaborateur de Robert Lepage, Philippe Soldevila s’illustre aussi bien sur les scènes de la métropole que sur celles de la capitale. Parmi ses récentes réalisations montréalaises, citons Doldrum Bay à La Licorne, Des fraises en janvier au Théâtre d’Aujourd’hui et Quatuor au Rideau vert. À Québec, au sein du Théâtre Sortie de secours, une compagnie qu’il dirige depuis sa fondation en 1989, le créateur né de parents espagnols élabore des spectacles où l’art, la littérature, les croyances et les rites étrangers jouent un rôle primordial. Pour mémoire, mentionnons Tauromaquia, Le miel est plus doux que le sang, Exils et ¡Anarquista!. Avec Bhopal: récit d’une catastrophe oubliée, un spectacle présenté sous peu dans l’enceinte d’Espace Libre, Philippe Soldevila s’aventure, avec sept comédiens, deux musiciens et une chanteuse-danseuse, dans un territoire dévasté.

L’automne dernier, au Périscope, le Théâtre Sortie de secours procédait, en coproduction avec la compagnie montréalaise Teesri Duniya, à la création francophone de Bhopal. D’abord présentée en anglais en novembre 2001, entre les murs du MAI, la pièce de Rahul Varma, dramaturge d’origine indienne et directeur du Théâtre Teesri Duniya depuis 1981, a été traduite par Paul Lefebvre. Sans misérabilisme ni parti pris, elle rompt l’amnésie généralisée qui entoure la tragédie humaine et écologique de Bhopal. Dans cette ville de 800 000 habitants située au centre de l’Inde, au cours de la nuit du 2 au 3 décembre 1984, un nuage toxique s’échappe de l’usine de l’Union Carbide India Limited, une filiale de la multinationale états-unienne Union Carbide Corporation, spécialisée dans la production de pesticides. Fruit de la négligence d’une entreprise plus soucieuse d’augmenter sa marge de profit que d’instaurer les plus élémentaires mesures de sécurité, l’explosion tue, selon certaines sources, de 16 000 à 30 000 personnes et fait plus de 500 000 blessés. Aujourd’hui, 20 ans plus tard, le site est toujours contaminé, les conditions de vie des résidents sont grandement affectées par le désastre, on ne connaît toujours pas le nombre exact de victimes et la Dow Chemical, qui a depuis racheté l’UCC, n’a versé que de dérisoires indemnités.

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Quand la compagnie Teesri Duniya propose à Philippe Soldevila la direction d’une mise en lecture de Bhopal, le créateur est tout de suite porté à en faire bien plus. "Mon intérêt était double, précise-t-il. D’abord, comme on peut lire la pièce de manière très engagée, il y avait la possibilité d’explorer de nouveau un sujet à caractère politique. En même temps, ce qui m’a beaucoup séduit, c’est l’occasion d’une rencontre entre différentes cultures, entre l’Orient et l’Occident, entre des artistes aux origines très diverses." Ainsi, au cours d’une représentation colorée de distanciation brechtienne, le spectateur est exposé à une véritable mosaïque de langues et de cultures. Le français côtoie l’anglais, l’hindi et le kannada; les Québécois donnent la réplique aux Indiens, la musique est l’œuvre d’un Iranien, le chant et la danse celle d’une Bostonnaise d’origine indienne: bienvenue dans une aventure on ne peut plus transculturelle!

Conscient des pièges qui guettent le type de spectacle auquel il s’affaire, Philippe Soldevila semble déterminé à ne pas sombrer dans le prêchi-prêcha. "Nous avons tenté de donner un visage et une âme à ces personnages, de les incarner et de faire comprendre les enjeux qu’ils portent. Ce n’est pas si facile de pointer les responsables. Dans le fond, nous sommes tous complices. Le vrai défi est d’illustrer les mécanismes qui font en sorte qu’une tragédie pourtant annoncée, prévisible, finisse quand même par arriver. En réalité, ce sont nos mœurs économiques qui font en sorte que des accidents comme celui-ci continuent d’avoir lieu. Ce n’est pas parce qu’il y a des gros méchants et des petits gentils, mais bien parce qu’il y a des déséquilibres économiques: les plus pauvres sont toujours prêts à faire des concessions inimaginables devant ceux qui leur font miroiter la richesse." Pourtant, le metteur en scène tient à préciser que le spectacle transcende largement l’idée de dénonciation. "Nous avons voulu que Bhopal soit une espèce de rituel commémoratif et positif. Selon moi, le geste politique réside davantage dans cet hommage, dans cet acte de mémoire que la représentation offre à tous ces gens qui, en réalité, ont été sacrifiés."

Du 31 janvier au 18 février
À Espace Libre
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