Denise Guilbault : Rendre l'esprit
Scène

Denise Guilbault : Rendre l’esprit

Denise Guilbault dirige Louise Turcot et sept autres comédiens dans Wit, une œuvre poignante de l’États-Unienne Margaret Edson.

Après avoir transformé La Tempête de Shakespeare en une séduisante fantasmagorie – la production du Théâtre du Nouveau Monde et de la compagnie 4D art est d’ailleurs sur le point de s’engager dans une tournée européenne -, la metteure en scène Denise Guilbault travaille dans la minuscule enceinte du Théâtre de Quat’Sous. Avec sept comédiens, dont Louise Turcot, Françoise Faucher, Robert Lalonde et Dominique Pétin, elle met au point les confessions de Vivian Bearing, l’héroïne de la seule et unique pièce de l’États-Unienne Margaret Edson, Wit. Dix ans après avoir été créé en Californie, ce texte, primé par le Pulitzer en 1999 et porté à l’écran par Mike Nichols en 2001 (avec Emma Thompson dans le rôle principal), est présenté à Montréal dans une traduction française de Maryse Warda.

Professeur de littérature émérite, Vivian Bearing est une véritable sommité dans son domaine. Exigeante, rigoureuse, presque sévère, elle est dotée d’un esprit vif, éclatant et ingénieux (c’est la signification du terme anglais "wit"). Chose certaine, elle sait se tenir loin des émotions. À 50 ans, après avoir consacré la majeure partie de sa vie à la poésie anglaise du 17e siècle, plus précisément aux sonnets métaphysiques de John Donne, Vivian apprend qu’elle est atteinte d’un virulent cancer des ovaires. "C’est une femme qui tombe de très haut. Alors que, dans sa vie, tout était si solide, tout s’alignait, tout était réglé au quart de tour, soudainement les choses dégringolent les unes après les autres."

La chercheuse devient alors un sujet d’étude, cobaye d’un programme expérimental de chimiothérapie. "Maintenant, dira-t-elle en substance, je comprends comment se sent un poème décortiqué de toutes parts." Sans pouvoir se soustraire à la douleur, le personnage procède, avec une ironie, une érudition et une lucidité peu communes, au bilan d’une existence dédiée à la littérature. Au cours des huit mois qui la séparent de la mort, Vivian apprivoise, et le spectateur avec elle, la fragilité inhérente à la condition humaine. "C’est une tragédie personnelle, ce n’est peut-être pas celle de Médée ou de Phèdre, mais c’est tout de même énorme, explique la metteure en scène. Le destin des gens qui sont pris avec le cancer est plus grand que nature. Comme Vivian, ils sont devant un véritable abîme." Pour endosser les adieux de Vivian, pour incarner le monument qui s’effondre, la metteure en scène a fait appel à Louise Turcot, une comédienne avec laquelle elle n’avait jamais collaboré auparavant. "Louise a le port de tête d’une grande dame, une distinction, une réserve, et en même temps elle est espiègle comme une petite fille. J’avais besoin des deux. De plus, comme nos méthodes de travail sont totalement compatibles, nous ne nous sommes battues sur rien."

L’HEURE DES BILANS

Parce que le personnage de Vivian a un parcours professionnel très semblable au sien, Denise Guilbault, formée en littérature, autrefois professeure au Collège Jean-de-Brébeuf et depuis cinq ans directrice artistique à l’École nationale de théâtre du Canada, a hésité avant de monter la pièce de Margaret Edson. "À l’époque où Pierre Bernard (ancien directeur artistique du Quat’Sous) m’a mise en contact avec ce texte, je n’étais pas prête à le monter. Une femme, enseignante, approchant de la cinquantaine, qui allait être malade, très malade, c’était beaucoup. Puis, récemment, j’ai senti que c’était le bon moment. En fait, c’est un univers qui me concerne, qui s’impose à moi." Tout en s’avouant dépendante du vertige qu’implique la fréquentation d’auteurs aussi exigeants que Peter Handke ou Ruth Wolff, Denise Guilbault sait apprécier l’humour grinçant, typiquement britannique, dont Margaret Edson fait usage. "Cette écriture est formidable, parce qu’elle ne va pas du tout dans le mélodrame. Vivian fait preuve d’une intelligence désarmante, sa langue est affûtée, comme une lame bien tranchante."

C’est bien connu, la mort sonne l’heure des bilans. Pourtant, à une époque qui érige la vitesse et la santé en dogmes, peu de gens se soucient véritablement de ceux qui les entourent. Lorsqu’elle est imminente, la mort se charge de rappeler, cruellement, la valeur de ces liens. "Ça peut paraître une grande évidence, lance la metteure en scène, mais je ne trouve pas ça mauvais de se le faire rappeler. Après tout, il semble que seulement 20 % des gens meurent accompagnés."

Du 13 février au 18 mars
Au Théâtre de Quat’Sous
Voir calendrier Théâtre