Dragon bleu, Dragon jaune : Éloge de la lenteur
Scène

Dragon bleu, Dragon jaune : Éloge de la lenteur

Avec Dragon bleu, Dragon jaune, le Théâtre du Double Signe nous livre une éclatante leçon de vie et de théâtre.

La nouvelle production du Théâtre du Double Signe vient faire la preuve qu’on peut accomplir beaucoup avec peu de moyens, en autant qu’on a de l’imagination… et du talent! L’histoire de cet empereur qui devient fou à force d’attendre après une œuvre qu’il a commandée nous est contée avec grâce par un solide duo d’acteurs, deux narratrices en symbiose, une tête articulée, des jeux d’ombres et des musiciens en direct (René et Julie Béchard).

Au lever du rideau, le décor minimaliste surprend. On aurait souhaité un peu plus de faste entourant l’Empereur (Jean-François Blanchard, impressionnant), quelques draperies supplémentaires, qui auraient mieux souligné sa richesse. Mais le dispositif scénique conçu par Louis Hudon sert le propos à merveille. Surtout dans les moments où l’on voit le peintre Rushtayan (François Bienvenue, tout en nuances) vaquer à différentes occupations. Car le vieux sage de 192 ans prendra tout son temps pour réaliser l’œuvre que le roi lui a commandée. C’est d’ailleurs là le principal thème de la pièce: le temps, l’utilisation qu’on en fait, la perception qu’on en a.

L’élément le plus déstabilisant vient de cette tête de marionnette, qui campe le conseiller du roi. Cette dernière est manipulée par les deux comédiennes narratrices: Vladana Milicevic et Sylvie Marchand. Tantôt c’est l’une qui la fait bouger et qui lui prête son corps, tantôt c’est l’autre. Parfois, elles s’y prennent à deux. Si le choix surprend au départ, il finit par séduire au fil de la pièce. D’ailleurs, quel travail colossal de la part des deux comédiennes qui multiplient les personnages! En plus du conseiller, elles jouent les tisserands insultés, les cueilleurs écorchés, les tisserandes importées, les servantes éplorées… Sans oublier qu’on leur doit tous les jeux d’ombres.

Le seul hic vient d’ailleurs du fait qu’on doive patienter avant de les voir, ces fameux jeux d’ombres, créés par Marcelle Hudon. On souhaiterait qu’ils entrent en scène plus tôt. L’attente en vaut toutefois la peine: comme c’est à propos, cette explication du ver à soie. Et comme c’est joli, cette évocation du délire de l’empereur.

Cela dit, aucune autre critique négative à formuler sur cette production, qui devrait conquérir les spectateurs les plus récalcitrants. Dragon bleu, Dragon jaune est une pièce lumineuse, une histoire sur la relation entre l’art et le pouvoir, mais surtout, une fable sur le temps, à une époque où on s’esquinte à le rattraper.

Du mercredi au samedi, jusqu’au 18 février
Au Théâtre Léonard-Saint-Laurent
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