José Pliya : Duo pour voix obstinées
Une pièce de José Pliya, mise en scène par Denis Marleau, s’amène au CNA, après avoir ouvert le Festival de théâtre des Amériques à Montréal et visité quatre villes européennes. Rencontre avec le dramaturge béninois.
L’homme de théâtre reconnu pour avoir revitalisé la création théâtrale dans les Caraïbes continue d’écrire sur le choc de l’altérité et l’incommunicabilité des êtres. Sa pièce Nous étions assis sur le rivage du monde relate la mésaventure d’une femme qui, de retour dans son île natale, se frappe aux multiples refus d’un homme croisé sur la plage. "Ce qu’il est important de comprendre, c’est que cette femme arrive sur un territoire où rien ne se dit, avec une dialectique qu’elle a apprise ailleurs, explique d’emblée José Pliya. Le dialogue brusquera l’homme qui, à son contact, entrera dans un questionnement, lui qui était pétri de certitudes. Cela se fera au prix de l’enfermement de la femme."
C’est que le besoin d’ouverture de cette dernière provoque l’incompréhension de l’homme, qui considère qu’elle n’a pas sa place sur le rivage. La raison, longtemps tue, en devient prétexte à la démonstration de l’irréconciliable, à tous points de vue. "À partir du moment où j’ai pris le parti de mettre en conflit deux personnages qui ont des positions motivées et légitimes, chacun d’eux apportait avec lui un éventail de dualités. Dès qu’on a trouvé le bon protagoniste à opposer au bon antagoniste, il y a un fleuve de dualités et de controverses qui se mettent en place, car on a tiré sur le bon fil."
Même l’érotisme deviendra une perche tendue qu’aucun des personnages n’acceptera de prendre. "Dans nos sociétés où les repères traditionnels ont été extrêmement chamboulés, la femme a pris une liberté, son corps et sa sexualité se sont émancipés. Nous, les hommes, n’avons pas forcément été préparés à cette autonomie. Je crois que le refus de l’autre qui s’exprime dans cette pièce, c’est aussi le refus de l’attirance qu’on éprouve. L’homme rejette les complications qui découlent de l’attirance. De mon point de vue d’homme, il est plus facile d’aller vers un érotisme solitaire que d’aller vers la véritable rencontre. Dans la pièce, ce qui est chez la femme quelque chose de naturel devient chez l’homme d’une violence extrême. D’ailleurs, à la première proposition érotique de la femme, l’homme répond par une gifle. Il y a un disfonctionnement dans le rapport entre les hommes et les femmes. Il y a là quelque chose à reconstruire que je voulais mettre en perspective."
Nicole Dogué et Ruddy Sylaire dans Nous étions assis sur le rivage du monde. Photo: Richard-Max Tremblay |
Néanmoins, Pliya refuse que l’inaptitude à la réconciliation dépeinte dans sa pièce soit considérée comme une simple critique sociale ou politique. "Comme auteur, je ne cherche pas à être un éclaireur; je me méfie de ça. Je dirais à l’inverse que l’écriture est une mise en mystère. Si l’éclairage consiste à montrer plusieurs chemins possibles et à laisser le choix, pourquoi pas. Malheureusement, les éclaireurs ont tendance à montrer une seule voie. Ce qui m’interpelle, moi, en tant qu’être humain, Africain de culture française ayant travaillé partout dans le monde, c’est la relativité et la pluralité des éclairages. Comme auteur, le langage poétique me permet de mettre en possible toutes les réponses sans jamais donner une voie unique. Voilà pourquoi je suis ravi de travailler avec le metteur en scène Denis Marleau. Il donne des clés aux comédiens [Éric Delor, Nicole Dogué, Ruddy Sylaire et Mylène Wagram] pour interpréter des possibles. On se retrouve devant un jeu qui dit plusieurs choses à la fois. Ça me ravit, car je préfère la sédimentation profonde à la réponse toute faite."
Du 16 au 25 février à 19 h 30
Au Théâtre du CNA
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