Pol Pelletier : Mémoire de femme
Scène

Pol Pelletier : Mémoire de femme

Pol Pelletier, figure marquante du théâtre québécois, est de passage à Québec avec son dernier solo, Nicole, c’est moi… (Spectacle d’adieux).

Artiste singulière, d’une grande profondeur, Pol Pelletier a largement pris part à l’effervescence des années soixante-dix, fondant notamment le Théâtre Expérimental des Femmes, à qui on doit La nef des sorcières. Elle a cherché, enseigné, créé, poussant toujours son exploration: le travail du corps, l’échange avec le spectateur, dans un théâtre qui pour elle est lieu de transmission, outil de guérison.

Nicole, c’est moi… (Spectacle d’adieux), créé en novembre 2004, marque son retour à la scène, après les cinq ans de silence qui ont suivi sa trilogie composée des solos Joie, Océan, Or. À l’origine du spectacle, une commande, en 1999, pour souligner les dix ans du massacre de Polytechnique. À cette première mouture s’ajoute une plongée dans l’histoire, à la recherche des femmes ou plutôt, de ce que l’artiste appelle le "féminin": une autre façon de voir, de faire les choses qui, si elle s’incarne souvent chez les femmes, n’est pas seulement leur apanage.

"Tout mon spectacle, c’est qu’est-ce que c’est que le féminin, comment ça se fait qu’on a si peur de ça? Qu’est-ce que cette chose qui n’arrive jamais à prendre sa place dans l’humanité? Je commence avec homo sapiens, je parle du Moyen Age un peu, et beaucoup du 20e siècle, moment de la "naissance" des femmes. Mais faut pas s’illusionner: il y a eu des changements, mais le système, patriarcal, capitaliste, en place depuis très longtemps, ne se laissera pas abattre. Et c’est pas parce que des femmes y entrent que c’est une amélioration: elles renforcent un système qui est de plus en plus injuste et cruel."

L’artiste fait le constat très dérangeant de l’absence du féminin dans le monde, et au Québec. "En ce qui concerne les femmes, la fin des années quatre-vingts a été catastrophique. Il s’est passé ici quelque chose de grave: c’est presque comme si, du jour au lendemain, toute cette immense créativité autour du mouvement des femmes (1975-1985, environ) est disparue. Il y a eu un backlash d’une violence gigantesque, que nous ne voulons pas reconnaître. Et Polytechnique est l’événement central de ça. Après, les femmes, les femmes artistes, se sont tues. Et c’est terrible pour la société québécoise parce que cette effervescence, ça servait à améliorer toute la société. On n’a pas idée à quel point ça a été fort ce qui s’est passé ici, et moi ce qui me crève le cœur, c’est de voir que c’est banalisé, déformé. Je me suis tue. Mais j’avais la mort dans l’âme, et ça devenait une question de vie ou de mort de faire ce spectacle. C’est probablement ce que j’ai fait de plus courageux."

Pourtant, "le monde craque de toute part", estime-t-elle. Et le retour du féminin est vital, "parce que l’humanité, telle qu’elle est, est tellement pauvre. Je pense qu’on entre dans un monde où il faut qu’il y ait beaucoup plus d’artistes, que ça fasse beaucoup plus partie de la vie. Moi je me sens complètement au service de ma collectivité. Je pense que c’est ma fonction: je veux qu’à travers moi passent des choses qui vont faire du bien à ma communauté, qui, je pense, vont vraiment améliorer l’humanité. Je suis un lieu de passage: je veux être un maillon dans une chaîne qui nous amène vers la grandeur."

Du 21 au 25 février
Au Théâtre de la Bordée
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