Gagarin Way : Le feu aux poudres
La comédie noire Gagarin Way de l’Écossais Gregory Burke fait un arrêt au CNA, à mi-chemin de sa tournée canadienne. Rencontre avec le metteur en scène Michel Monty et l’acteur David Boutin.
Après avoir reçu le triomphant Howie le Rookie de l’Irlandais Mark O’Rowe, le Théâtre français du CNA accueille une autre production saisissante du Théâtre de la Manufacture, Gagarin Way, première pièce de l’auteur écossais Gregory Burke. Traduite en 17 langues, cette comédie caustique a, depuis sa lecture en mars 2000, parcouru le monde à vitesse grand V, récoltant nombre de prix sur son passage. Au Québec, c’est Yvan Bienvenue qui a mis ses mains expertes à la traduction française, remportant du coup le Masque de la traduction-adaptation en 2005. Le codirecteur de Trans-Théâtre, Michel Monty (La Société des loisirs), assure la mise en scène de ce quatuor explosif qui évolue dans un huis clos survolté.
LA GACHETTE
Inscrite dans l’Écosse de l’après-Thatcher, Gagarin Way dépeint l’histoire de deux collègues ouvriers miséreux qui kidnappent un patron de l’usine, dans un geste qu’ils veulent symbolique et politique. Le premier, Gary (Stéphane Jacques), ancien militant de gauche et syndicaliste convaincu, souhaite que l’on revienne à des valeurs plus socialistes; le deuxième, Eddie (David Boutin), la tête brulée, a une fascination malsaine pour toute forme de violence. Croyant effectuer le rapt d’un des dirigeants japonais capitalistes et sans scrupule, les deux voyous se rendent vite compte que la victime, Frank Van de Hoy (Daniel Gadouas) n’est pas celle qu’ils pensaient. "Eddie va avoir des intentions différentes de Gary, qui est plus engagé politiquement. Ses motivations sont purement pour le thrill de tuer quelqu’un. Il est aussi séduit par le suicide – autre geste extrême -, mais il veut faire cette expérience avant de mourir", explique David Boutin, qui incarne l’hyperactif personnage qui va changer les plans. Dans le feu de l’action, Tom (Francis Poulin), un jeune agent de sécurité anodin qui devait ouvrir la barrière, se trouvera impliqué malgré lui dans une affaire qui n’est pas la sienne.
"Ce qui m’a frappé à la lecture de la pièce, c’est l’authenticité qui s’en dégage, explique le metteur en scène Michel Monty. Gregory [Burke] travaillait dans une chaîne de montage, il n’était jamais allé au théâtre. C’est un néophyte complet. Ensuite, c’est le contenu sociopolitique de la pièce qui m’a intéressé… La situation est tellement explosive par moments que ça devient hilarant. L’horreur et la comédie se côtoient dans cette pièce, et cela m’excitait beaucoup."
Même son de cloche chez David Boutin, qui a d’abord fait une lecture publique de la pièce avant sa création au Théâtre La Licorne en octobre 2003: "Malgré l’ambiance malsaine de la pièce, il [Burke] réussit quand même à nous faire rire. C’est de l’humour noir, mais il y a des moments où il y a des rires francs. Et plus la pièce avance, plus tu sens le count down avancer… La nuit va finir d’une certaine façon, on s’en va vers la conclusion et la tension monte."
POINT DE MIRE
Ayant séjourné plusieurs mois en Écosse et en Angleterre, Michel Monty était déjà familier avec les politiques et conditions de vie des sociétés anglo-saxonnes. "J’avais des petites notions, comme les divisions sociales qui existent là-bas. C’est une société de castes, je pense qu’il grouille une grande colère chez les gens très pauvres. Je connaissais cette réalité pour l’avoir vue." Il connaissait par exemple Dunfermline, ville natale de l’auteur où se déroule l’action de la pièce; anciennement ville minière de charbon, elle a été convertie à l’industrie des puces électroniques.
La première rencontre que Monty a eue avec Gregory Burke lui a d’ailleurs été très bénéfique. "Quand j’ai vu l’auteur, j’ai compris la pièce. C’est un genre d’ancien hooligan avec le crâne rasé. Autrefois, il se promenait dans les stades de football avec des bats de baseball. Il n’est plus comme ça, mais il a eu une adolescence très violente… Mais ça fait aussi partie de sa culture…" remarque-t-il, soulignant au passage les similitudes que peuvent avoir le passé de l’auteur et le personnage d’Eddie: décrit comme un rat de bibliothèque, le personnage a une grande culture, malgré son penchant violent. "Eddie n’a jamais vraiment eu de problèmes dans sa vie, mais il vit intensément. Il est surtout intéressé par la violence, c’est un extrémiste qui fait de la dope dure, qui n’a pas de fond", note David Boutin.
Sur fond de philosophie marxienne et hégélienne, la pièce, que l’auteur voulait ancrée dans les idéologies du XXe siècle, est aujourd’hui criante de vérité, ce qui explique en partie l’attention internationale qu’on lui accorde. "C’est devenu très concret. Il l’a écrite aux débuts de la mondialisation, on commençait à en parler, l’OMC débutait… Puis maintenant, on est vraiment dedans. On entend parler tous les jours d’usines qui ferment, de jobs qui se perdent, de compagnies qui déménagent au Mexique, en Chine, pour faire des produits manufacturiers ailleurs", constate Michel Monty.
En plus des thèmes de l’anarchisme, de l’existentialisme, du terrorisme politique et de la mondialisation, Burke traite d’une certaine "crise d’identité masculine": "Il fait référence à la crise de la masculinité qui s’exprime dans la violence, c’est-à-dire quand tu ne sais plus quoi faire, que tu es dans un cul-de-sac, quand t’as pas de moyens, pas d’éducation. Il rentre dans tout ça dans cette pièce. Il y a des propos assez dérangeants sur l’économie, sur les idéologies, les systèmes politiques, sur la violence même de l’alimentation; il y a tout un monologue d’Eddie sur la nourriture écossaise, comme quoi c’est une façon d’économiser des pensions, pour que tu pètes une crise cardiaque après ta retraite, comme quoi c’est voulu par un système qui ne veut pas de retraités qui vivent trop longtemps. Gagarin Way, c’est tout ça." Décapant.
Du 1er au 4 mars à 20 h
Au Studio du CNA
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