L’Histoire lamentable de Titus : OEil pour oil
L’Histoire lamentable de Titus, qui a été considérée comme une ébauche de Lear, montre toute la cruauté dont l’homme est capable. Rencontre avec la comédienne Sophie Faucher.
"Gandhi a écrit "OEil pour œil finira par rendre le monde aveugle", et je crois que cette phrase sied parfaitement à cette pièce et que ça la ramène vraiment à l’actualité, nous dit Sophie Faucher à propos de L’Histoire lamentable de Titus. On sait que l’escalade de la violence ne mène à rien, sauf à plus de barbarie et de maladie, poursuit-elle. C’est l’être humain dans tout ce qu’il a de plus laid, de plus détestable."
Monté dans son intégralité par le théâtre Omnibus, d’après la plus récente traduction de Jean-Pierre Richard (Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard), le spectacle respectera la tradition du théâtre élisabéthain en permettant aux spectateurs de boire et manger pendant la représentation, qui durera trois heures trente. La salle sera même parfois éclairée, ce qui ajoutera sûrement au climat de franche camaraderie qui entoure déjà la troupe réunie par Jean Asselin, le metteur en scène.
"Nous sommes 12 pour 39 rôles. Il y a 9 garçons pour 3 filles: je me sens donc dans un univers "testostéronien"!" rigole Faucher qui, à part un petit rôle muet en début de ce long parcours théâtral signé William Shakespeare, incarne Tamora, la reine des Goths, ennemie jurée de Titus, général imaginaire de la Rome impériale. "C’est une reine déchue, mais une très grande séductrice. Elle a à composer avec des codes qui lui sont inconnus, mais c’est une très fine stratège, c’est une femme politique qui a une vision. Et elle possède la force des survivantes."
Emprisonnée avec ses fils, Tamora est une étrangère et elle a tout à apprendre des coutumes des Romains, de leur civilisation, de leur façon de faire et de vivre, de leurs rituels. "Son statut change très vite car elle devient impératrice. Entre la scène 1 et la scène 2, on assiste à un record de rapidité. Shakespeare était un bon monteur (au sens cinématographique du terme): tout ce qui est inutile, il l’enlève et arrive vite au punch!" Elle devient donc la femme de Saturnin et prend pour amant, dans cet hymne à la transgression, Aaron le Maure (Didier Lucien): "Je suis partie du principe qu’elle n’a ni foi ni loi, qu’elle n’a aucun tabou, et que c’est un animal bizarre. Il y a du sexe, de la barbarie et de la violence et ça s’inscrit là-dedans. Aaron serait noir, rouge ou jaune, peu importe! C’est l’incarnation du mal, Aaron. Et elle qui avait déjà des tendances diaboliques, eh bien elle tombe sur pire qu’elle." Pour oser plonger dans toute cette horreur, Sophie Faucher, dans sa pudeur, passe par l’humour: "On va dans des zones qu’on n’explore pas trop souvent, ce qui fait qu’on rit beaucoup! On n’a pas le choix car c’est trop, c’est horrible. Tamora élève ses fils comme des bêtes et ils sont formidables de manque de savoir-vivre."
Deuxième Shakespeare pour Sophie Faucher et treizième pour Jean Asselin, la production respecte la direction du théâtre Omnibus qui favorise le travail sur le corps: "Pour ce qui est du texte, il a fallu s’en défaire très vite, car Jean Asselin est très physique. Pour moi, qui suis moins rompue à tout ce travail sur le mime, c’est grisant de plonger là-dedans. Et si je propose des choses physiques, Asselin sait rendre plus efficaces et plus théâtraux tous les gestes avancés. C’est un travail de raffinement et de petit point qu’il fait naturellement, au fil des répétitions. C’est passionnant. Aussi, il préfère voir; il se fout de tout l’aspect psychologique qui nous a amené à proposer ce geste."
Le corps doit être signifiant, mais fondé sur ce qui se dit. Et les questions continuent de hanter la comédienne: "Et pourquoi Titus la tue, alors qu’il a eu sa vengeance? Est-ce que Tamora s’écroule lorsqu’elle doit bouffer la tête de ses enfants ou bien est-ce qu’elle lèche plutôt la fourchette en le regardant en pleine face? C’est qu’elle est menaçante…"
Du 28 février au 25 mars
À Espace Libre
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