Michel Tremblay : Jamais deux sans trois
Scène

Michel Tremblay : Jamais deux sans trois

Michel Tremblay voit, presque au même moment, trois de ses pièces prendre l’affiche de théâtres montréalais. Pour souligner l’événement, nous avons incité le célèbre écrivain de 63 ans à commenter le chemin parcouru.

Pour notre plus grand bonheur, ce n’est pas une, mais bien trois pièces de Michel Tremblay qui seront présentées sur nos scènes au cours des prochaines semaines. Tout d’abord, Encore une fois, si vous permettez, une production du Théâtre les gens d’en bas, prend l’affiche du Théâtre d’Aujourd’hui. Récipiendaire du Masque 2003 de la production "Régions", le spectacle, mis en scène par Louise Laprade et mettant en vedette Louison Danis et Daniel Simard, a été offert plus de 130 fois à travers le Québec et le Canada depuis sa création en 2002. Ensuite, sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde, Serge Denoncourt se mesure à Hosanna, un classique de la dramaturgie québécoise créé en 1973. Benoît Brière s’est vu confier le rôle-titre, alors que Normand D’Amour incarnera Cuirette. Finalement, en mars, au Rideau Vert, René Richard Cyr procédera au baptême de Bonbons assortis, la toute dernière pièce de l’auteur, avec une distribution de haut vol: Gilles Renaud, Rita Lafontaine, Pierrette Robitaille, Germain Houde, Pierre Collin, Adèle Reinhardt et Sandrine Bisson.

"Alors qu’Hosanna se rattache aux pièces plus sociales, celles des années 70, Encore une fois, si vous permettez et Bonbons assortis tiennent plus de l’introspection, précise Michel Tremblay au bout du fil. Ce qui est normal, je crois. En vieillissant, on pense plus à ce qu’on a vécu, on regarde en arrière; tandis qu’à 29 ans, l’âge que j’avais quand j’ai écrit Hosanna, on regarde plus autour de soi, on juge plus la société." Mais quelles pièces sont les plus salvatrices, lesquelles parviennent le mieux à libérer l’auteur? "Les pièces introspectives sont plus agréables à écrire que celles qui dénoncent. En fait, ça ne répond pas au même besoin. Ça vient par périodes. Par exemple, je viens de finir le premier jet d’un roman sur la mort qui devrait s’intituler Le Trou dans le mur. Je ne pensais pas pouvoir parler de la mort si rapidement, après mon problème de l’année dernière, mais j’ai trouvé une façon de le faire. Ça correspond à un besoin que j’ai cette année. De toute façon, la joie d’écrire est toujours là. Même dans les choses les plus noires, déprimantes ou revendicatrices, il y a toujours le soulagement de dire, de pouvoir dire ce qu’on pense avoir à dire."

HOSANNA

Pour Michel Tremblay, le destin d’Hosanna et Cuirette porte la marque des années 70. "La pièce n’aurait pas pu être écrite avant et ne pourrait pas être écrite aujourd’hui. On y aborde les notions de masculin et de féminin, les jeux de rôle au sein du couple. C’était des problèmes nouveaux, au sens où ils n’avaient jamais été posés de cette façon auparavant." Comment expliquer alors que la pièce suscite encore l’intérêt, 33 ans après sa création? "Elle met en scène deux êtres humains, beaucoup plus que l’intention que j’avais à l’époque de parler d’un pays qui a des problèmes d’identité. Si les deux individus qu’on a devant soi restent humains, la pièce continue d’être pertinente et les personnages, touchants. Une pièce sur des rêves brisés, ça peut rester éternel. Je ne veux pas dire que ma pièce l’est, mais les rêves brisés sont les mêmes depuis que le monde est monde. L’être humain est le seul animal qui a de l’imagination et qui peut avoir des rêves, donc il est le seul à pouvoir les partager et à pouvoir se les faire briser par les autres."

ENCORE UNE FOIS, SI VOUS PERMETTEZ

Dans son œuvre, Michel Tremblay a amplement dépeint sa mère. Pourtant, Encore une fois, si vous permettez dévoile de nouvelles facettes de ce personnage haut en couleur. "C’est une pièce sur la discussion et sur l’apprentissage de la vie. Nana y est aussi comique, grandiloquente et dramatique qu’elle l’a toujours été, mais elle écoute son fils et finit par dire: "Ben coudon, vu de cette façon-là, tu as peut-être raison." Elle accepte non seulement de l’écouter, mais aussi d’apprendre des choses de lui. Ça, je pense que c’est nouveau, parce que les personnages de mères ont longtemps été des personnages secondaires." Mais qu’est-ce qui explique que ces discussions ne soient pas apparues plus tôt sous la plume de l’écrivain? "Les femmes étaient trop enragées avant. Pendant toutes les années 60 et 70, j’ai décrit des femmes enragées qui n’avaient pas les clés pour s’en sortir. Céline Poulin (l’héroïne d’une trilogie romanesque que l’écrivain terminait en octobre dernier), contrairement à la Rose Ouimet des Belles-Sœurs, qui disait: "Les femmes, sont pognées à’ gorge, pis y vont rester de même jusqu’au boutte!", prend la plume et s’exprime. Chez Nana, c’est la discussion."

BONBONS ASSORTIS

C’est dans son bain que Michel Tremblay a eu l’idée de transposer au théâtre ses Bonbons assortis, un recueil de récits paru en 2002. "J’ai pris quelques-unes des histoires et j’ai un peu extrapolé, je les ai rendues plus comiques encore, plus grandes que nature, parce qu’on est au théâtre et que j’avais envie d’écrire une pièce dans laquelle on avait d’abord et avant tout du gros fun." L’auteur ne cache pas que le résultat présente de nombreuses ressemblances avec Encore une fois, si vous permettez. "J’ai repris l’idée du narrateur en relation avec sa famille, mais cette fois je l’ai obligé à entrer dans l’action. Ça donne quelque chose de tout à fait nouveau et de beaucoup plus bouleversant que de juste écrire une pièce sur mon passé. J’ai voulu faire de cette pièce une illustration de la manière dont un auteur utilise sa mémoire. La seule autobiographie respectable serait celle d’un menteur. La seule façon d’être vrai, c’est d’inventer. L’utilité d’un écrivain, c’est d’illustrer autour de la vérité, pour la circonscrire. L’écriture, c’est des lettres qu’on s’écrit à soi-même pour s’expliquer le monde. L’écriture me sert à m’expliquer les choses qui m’enragent, les choses que je trouve injustes, et de temps en temps, à exprimer l’amour que j’ai, si ce n’est pour tous les êtres humains, du moins pour certains d’entre eux."

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IL ÉTAIT UNE FOIS DANS LE SUD-OUEST

C’est dans un illustre casse-croûte du quartier Saint-Henri, le Green Spot, que nous avons rencontré Benoît Brière, Louison Danis et Gilles Renaud.

Louison Danis ne se lasse tout simplement pas d’incarner Nana dans Encore une fois, si vous permettez. "Sur 166 ou 167 personnages, c’est mon préféré. En 38 ans de carrière, c’est mon meilleur. J’ai l’impression que ça va me prendre encore au moins 150 représentations pour en faire le tour." Mais qu’est-ce qui rend cette pièce si populaire? "Ça concerne tout le monde, parce que même si on n’a pas tous eu des enfants, on a tous eu une mère. Il s’agit d’un hommage à toutes les mères."

C’est avec une nervosité perceptible que Benoît Brière s’apprête à fouler la scène du TNM dans les apparats d’Hosanna. "Ce rôle est un cadeau inouï, mais je réalise qu’on a autrement plus d’ouvrage dans un Tremblay que dans un Molière ou un Shakespeare." Comment le comédien explique-t-il le caractère impérissable de ce classique de notre dramaturgie? "Bien au-delà de la langue et de l’homosexualité, c’est une relation de couple, un conflit de couple. C’est vraiment la base, c’est ça qui passe à travers le temps."

Gilles Renaud appartient sans nul doute aux habitués de l’univers de Michel Tremblay. Depuis 1973, année où il créait le rôle de Cuirette dans Hosanna, le comédien a pris part à une dizaine de productions. "Je retrouve chaque fois cet univers avec un grand plaisir. Quelque part, c’est comme mettre de vieilles pantoufles." En mars, sur la scène du Rideau Vert, Renaud incarnera le narrateur dans Bonbons assortis. "C’est une pièce très drôle. C’est très agréable de jouer un Tremblay qui n’est pas dans le drame ou la tragédie."

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Hosanna
Du 28 fév au 25 mars 2006
Au Théâtre du Nouveau Monde

Encore une fois, si vous permettez
Du 28 février au 25 mars
Au Théâtre d’Aujourd’hui

Bonbons Assortis
Du 28 mars au 22 avril
Au Théâtre du Rideau Vert