Michel Faubert : La chasse aux sorcières
Scène

Michel Faubert : La chasse aux sorcières

Michel Faubert, tel un conservateur de musée, restaure les vieux contes traditionnels. Il les revisite afin qu’ils ne perdent pas leur lustre d’antan et qu’ils continuent d’émerveiller même s’ils côtoient le drame.

La ligne entre le conteur et l’humoriste s’amincit. La jovialité du peuple québécois semble pousser de plus en plus le premier à redéfinir les règles de son art, à chercher le rire dans chaque phrase qu’il formule. La rumeur court même jusqu’à l’extérieur de la province. Il arrive que certains artistes étrangers, pour s’attirer la sympathie du public, modifient le contenu de leur show en ce sens. À l’inverse de cette tendance, Michel Faubert continue d’aborder le conte de la manière la plus traditionnelle qui soit. "À la base, je ne pense pas que le conte soit fait pour faire rire", admet-il, sans pour autant condamner ceux qui ont adopté un style plus rigolo. "Moi, ce que je voulais retrouver dans les contes, c’est ce qui m’émerveillait quand j’étais petit. Par exemple, dans les contes de Grimm que je lisais dans les Encyclopédies de la jeunesse qu’on avait à la maison, il y avait des univers assez nocturnes, souvent tragiques, où tous les côtés tordus de l’humain étaient mis en relief et où il y avait en même temps un côté magique très fort." Et c’est ce que le Charbonnier de l’enfer tente de recréer dans Bellechasse, son plus récent spectacle, qu’il viendra présenter au Théâtre Belcourt.

IL ÉTAIT UNE FOIS… FAUBERT

Certains événements ont influencé la carrière de Faubert. Sa rencontre avec Ernest Fradette, conteur de Saint-Raphaël-de-Bellechasse décédé l’automne dernier, en fait partie. "Je parle souvent d’Ernest, et avec raison. C’est celui qui m’a ouvert les portes de l’univers traditionnel du conte." Bellechasse se révèle d’ailleurs un hommage à cet homme qu’il avait croisé pour la toute première fois en 1988 et qui est devenu son second père. Soutenu par la musique du multi-instrumentiste Daniel Roy, il se compose bien sûr d’histoires tirées du répertoire de Fradette, mais aussi de contes traditionnels et de délicieux fragments de vie du principal intéressé. "Il y a quelques petites parenthèses, des témoignages, sur le parcours qui m’a mené sur les chemins de la complainte et du conte. Il y a quelques petits souvenirs d’enfance, qu’autrefois je faisais en présentation, qui sont devenus des petits contes." Quels sont-ils? "Un des plus anciens souvenirs que j’ai… J’étais tout petit garçon, dans le salon chez nous. Et tout d’un coup à la télévision, probablement lors d’un bulletin de nouvelles – parce que je n’écoutais pas la télévision, je jouais avec mes jouets -, j’ai vu comme une capsule, puis une silhouette qui bougeait par gestes saccadés dans l’espace. C’est Alexis Leonov, qui sortait de sa capsule. C’était le premier homme à sortir de sa capsule et à marcher dans l’espace. Ça m’avait fait une impression très grande, puisque je m’en souviens encore aujourd’hui. Et ça avait semé quelque chose en moi qui – ça peut paraître incongru -, a influencé le fait que je conte aujourd’hui." Pourquoi? "C’était le premier fantôme que j’avais vu dans ma vie!"

RIRE OU NE PAS RIRE?

Si le conte s’éloigne souvent de la réalité, Faubert, lui, le fait pousser dans son jardin secret. Son désir de raconter des légendes l’a poussé à imbriquer des souvenirs à l’intérieur de ses récits. Il explique: "Je me disais: "Comment se fait-il que, si je conte une histoire de loup-garou, si un autre conteur raconte l’histoire de la chasse-galerie ou d’un pacte avec le diable, les gens sourient?" Ça, c’était une question que je me posais souvent. La première dame que j’ai rencontrée dans ma vie pour apprendre quelque chose, une chanson ou une affaire de même, s’appelait Marie-Rose D’Amour. C’était dans mon village à Rigaud. J’avais 17 ans. Ma mère m’avait dit d’aller voir cette femme-là parce qu’elle connaissait d’anciennes chansons. Cette dame me racontait des légendes du coin, mais pour elle, ce n’était pas des légendes. Le mot légende n’existait pas. Elle me racontait des affaires qui étaient arrivées. Et elle, quand elle racontait ça, elle était émotivement embarquée là-dedans. Pourtant, c’était juste un petit flash, une vision." Cette anecdote l’a orienté vers la piste d’une réponse. "Pourquoi les gens rient lorsque les conteurs racontent des affaires comme ça? C’est peut-être parce qu’on a complètement sorti l’émotion de ces histoires-là, de nos vies."

Alors qu’il cherchait un moyen de raviver cette part perdue du conte, Michel Faubert était hanté par une histoire ancienne. Il se rappelait cette journée où, adolescent, il avait emprunté la voiture familiale, un gros char de cultivateur, pour se rendre à Blainville aux danseuses. "J’ai fini par faire une histoire avec ça. Ça s’appelait La Vendeuse de rêves, dit-il. Je me suis mis à la raconter en spectacle. Au début, j’étais bien gêné de raconter ça. C’était vraiment ouvrir un tiroir d’intimité. Je n’avais jamais dit ça à personne, en plus. Et je me suis aperçu que cette histoire touchait beaucoup les gens, et étrangement, beaucoup les femmes qui étaient dans l’assistance. Et je me suis aperçu, après, que cette histoire-là avait été mon histoire de Dame blanche, c’est-à-dire la fée des eaux. C’était ma chasse-galerie à moi!" Les gens rigolaient d’abord, puis Faubert les amenait tranquillement ailleurs. Leurs sourires se transformaient alors en une bouche tordue par le malaise. "Là, on est dans l’univers de la légende! Pour les toucher, j’avais raconté quelque chose qui m’était arrivé. Ça ne veut pas dire qu’il faut absolument que je fasse ça chaque fois. Mais, de temps en temps, j’aime faire ce lien-là. Et c’est là-dedans que je peux toucher la corde sensible qui fait que les gens ne riront pas nécessairement."

Pour atteindre le coeur du public, le conteur doit actualiser quelques éléments du récit. "Le loup-garou, c’est la même affaire. C’est sûr que, si tu dis qu’un tel n’a pas fait ses Pâques pendant sept ans et qu’il s’est transformé en loup ou en chien, les gens aujourd’hui rigolent ou du moins sourient. Mais si tu racontes que dans le fond, le loup-garou, c’est la forme légendaire du secret, qu’une personne a un secret tellement immense que le secret va finir par exploser en dedans d’elle et la transformer en autre chose, là, ça devient très moderne comme thème. Et c’est dans ces choses-là que je me dis qu’il y a encore une manière, avec des histoires qui peuvent paraître dérisoires, de toucher des gens profondément. Et c’est un peu mon but. Sinon, je ne raconterais plus…"

Le 31 mars à 20h
Au Théâtre Belcourt