Antoine Laprise et Normand Daneau : La face cachée de la lune
Scène

Antoine Laprise et Normand Daneau : La face cachée de la lune

Antoine Laprise et Normand Daneau s’aventurent dans L’Autre monde, celui qu’a imaginé Cyrano de Bergerac, l’un des esprits les plus libres de la première moitié du XVIIe siècle.

Depuis 22 ans, le Théâtre Il va sans dire a présidé à certaines des aventures théâtrales les plus stimulantes à être nées en sol québécois: Cabaret Neiges Noires, L’Odyssée et Don Quichotte, pour ne nommer que celles-là. Ces jours-ci, Dominic Champagne, directeur de la compagnie, passe le flambeau à deux créateurs au sommet de leur art.

Antoine Laprise, metteur en scène attitré du Sous-Marin jaune (La Bible, Le Discours de la méthode), et Francis Monty, codirecteur artistique du Théâtre de la Pire Espèce (Ubu sur la table, Persée), observent des trajectoires à ce point voisines que cette collaboration (leur première) était pour ainsi dire inévitable. "C’est une attraction qui s’est produite, explique Antoine Laprise, avec un langage manifestement contaminé par la dimension astronomique de l’oeuvre qu’il porte à la scène. Puisque nous gravitions un peu dans les mêmes zones, une attraction naturelle s’est produite. On devait se rencontrer et travailler ensemble, la conjonction était là."

Antoine Laprise et Francis Monty signent donc le texte et la mise en scène de L’Autre monde, un spectacle pour comédiens, marionnettes et objets inspiré par Les États et Empires de la Lune, la première des trois parties d’un cycle romanesque imaginé par Cyrano de Bergerac. Rappelons que Cyrano – avant de servir d’inspiration au héros de la célèbre comédie héroïque d’Edmond Rostand créée en 1897 – était un officier, essayiste, dramaturge et philosophe dont le nez avait une taille tout à fait normale. En 1655, âgé de 36 ans, l’homme meurt des suites d’un accident, peut-être provoqué, sans avoir pu mettre un point final à L’Autre monde, son grand oeuvre.

Dans ces rocambolesques aventures, un voyage dans le temps et l’espace où le personnage principal doit affronter des êtres et des sociétés dont les croyances bouleversent les certitudes terrestres et chrétiennes, le penseur du XVIIe siècle fait preuve d’une verve étonnante, un anticonformisme aussi moderne qu’explosif. "Ce n’est pas un hasard si c’est aujourd’hui qu’on est amené à faire la lumière sur le Cyrano historique, affirme Laprise. Les XVIIe et XXIe siècles sont des époques symétriques. On retombe actuellement dans les querelles religieuses, on assiste à une recrudescence des fanatismes, au retour de la barbarie: toutes les polémiques du XVIIe siècle. Comme nous avons quitté la France avant la Révolution, nous avons retenu quelque chose de l’homme sauvage cher à Rousseau; quelque chose de paillard et de rabelaisien que la France a perdu. Voilà pourquoi nous avons autant d’affinités avec l’homme du début du XVIIe siècle qu’était Cyrano de Bergerac."

UNE VÉRITABLE SOMME

Selon Normand Daneau, l’un des sept comédiens de la distribution, avec Julie Castonguay, Jacques Laroche, Vincent-Guillaume Otis, Caroline Tanguay, Benoît Vermeulen et Antoine Laprise, L’Autre monde constitue, d’un point de vue philosophique, ni plus ni moins qu’un texte fondateur. "Ce roman est un brûlot philosophique hallucinant. De Bergerac y fait des affirmations que même les grands philosophes de l’époque osaient à peine faire. C’est pour se protéger qu’il emprunte le filtre de la fiction, parce que s’il affirmait ça dans un essai, il passait à l’inquisition et il était brûlé vif. En fait, il joue très habilement des frontières entre l’essai philosophique et la science-fiction." Antoine Laprise ajoute: "Chez les autres écrivains de cette époque, il n’y a pas cette hardiesse, cette transgression, parce qu’ils se surveillent tous le cul."

Scientifique, philosophique, romanesque, burlesque… Normand Daneau ne tarit pas de qualificatifs lorsqu’il s’agit de décrire le court texte de Cyrano de Bergerac. "Ce n’est pas seulement une oeuvre philosophique, c’est une oeuvre artistique, d’un baroque complètement hallucinant. En plus de procéder à une synthèse de toutes les idées émergentes de son siècle et d’en tirer des conclusions qui l’amènent plus loin, de Bergerac fait preuve d’une immense liberté artistique et littéraire."

Engagés dans une démarche à la théâtralité affichée, dans un parcours farfelu, truffé de mises en abyme, les créateurs espèrent rendre justice à la vie et à l’oeuvre d’un véritable précurseur. Si la représentation ne traduit que le quart de leur ferveur, ce sera un pur moment de théâtre, une ode passionnée au caractère éminemment subversif de l’imagination.

Du 4 au 29 avril
À Espace Libre
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