Le Théâtre à corps perdu : La musique des mots
Le Théâtre à corps perdu s’attaque aux Châteaux de la colère, une oeuvre forte et polyphonique. Rencontre avec la metteure en scène Geneviève L. Blais, qui signe aussi l’adaptation du roman de Baricco.
Alessandro Baricco, né à Turin en 1958, construit, depuis quelques années déjà, un univers littéraire acclamé par le public et la critique – on pense à Soie, à Océan mer et à Novecento (adapté au cinéma et monté ici au théâtre par François Girard). La jeune metteure en scène Geneviève L. Blais a aussi un parcours singulier et tout à fait remarquable. Après avoir monté un texte de Botho Strauss (Quelques éclats de verre, en 2004) dans un bar de la rue Rachel, elle nous amenait, l’an dernier, au Bain St-Michel pour Combats, un collage de textes de quatre bons auteurs (dont ceux de Wajdi Mouawad et de Daniel Keene). Aujourd’hui, elle aborde l’oeuvre de Baricco au Théâtre Denise-Pelletier.
"Ce spectacle ne s’inscrit pas dans ma démarche d’exploration des lieux. Pour moi, c’est une des lignes directrices que je vais continuer de suivre, mais cette fois, j’ai contourné cet aspect de mon travail. La très grande théâtralité du roman exigeait pratiquement de monter l’adaptation dans un théâtre conventionnel." Ne voulant pas ajouter un niveau de lecture supplémentaire à l’objet, elle préfère aller dans un lieu plus neutre. "Aussi, les lieux marginaux sont intéressants sur le plan du processus de création, mais j’ai appris qu’il valait mieux avoir plus de ressources financières, car on y rencontre des problèmes spécifiques (absence de toilettes, de régie, de moyens techniques)."
Geneviève L. Blais entend poursuivre cette exploration, ne serait-ce que pour l’âme des lieux et le contenu, la mémoire que révèle l’architecture, par exemple, mais il est hors de question de s’atteler à ce genre de projets sans les moyens nécessaires. Déjà que son travail de productrice l’éloigne suffisamment de ce qui l’anime principalement, avec toute la cuisine administrative qu’exigent l’obtention des droits et l’approbation des auteurs (surtout lorsqu’une petite compagnie s’attaque à des machines comme celles qui soutiennent des gens tels Alessandro Baricco ou Botho Strauss), on peut comprendre son besoin de ne pas trop éparpiller sa passion et sa détermination.
La jeune compagnie qu’est le Théâtre à corps perdu voulait également rencontrer un plus large public et faire connaître son travail. "J’aime le travail en mosaïque, je m’intéresse aux fragments, aux échos entre eux et au rythme, à la musicalité de l’ensemble. Dans Châteaux de la colère, tout ça est très présent. Sur le plan de la thématique, j’ai l’impression que le roman répond au mandat de la compagnie. On touche à la fois à l’horrible, à l’affreux et, en même temps, il y a le désir d’une certaine légèreté. Les personnages de Baricco posent des gestes contre la grisaille et la banalité."
Si l’adaptation du roman traduit de l’italien par Françoise Brun implique certains sacrifices, le théâtre peut traduire certains passages d’une manière particulièrement convaincante. Aussi, la musique originale de Jimmy Leblanc peut tenter de représenter le fameux "humanophone", cet orchestre où chacun ne chante qu’une note (!) et dont il est question tout au long du roman. "J’ai un intérêt marqué pour les textes difficiles, pour les défis, en fait. C’est quand je ne sais pas comment je pourrais faire quelque chose que j’ai envie de l’essayer. J’aime me confronter à une oeuvre qui, à la base, a suscité une sensation forte. Je tente de rendre au public, en traduisant ou en trahissant, ce qui, initialement, a provoqué cette sensation chez moi."
Du 4 au 22 avril
À la Salle Fred-Barry
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