Édouard Lock et Ginette Laurin : La danse fait son cinéma
Scène

Édouard Lock et Ginette Laurin : La danse fait son cinéma

Édouard Lock et Ginette Laurin donnent un second visage à leurs oeuvres pour les porter à l’écran. Une manière efficace d’élargir les frontières de la danse et de la sortir du cercle étroit des initiés.

Avec le décloisonnement des disciplines artistiques, l’image a intégré avec succès les spectacles de danse, et les langages chorégraphique et cinématographique ont appris à mieux dialoguer pour nous offrir des films de danse de grande qualité. Bientôt, on l’espère, plus personne n’osera réduire les oeuvres dansées à de banales captations aussi soporifiques que peu fidèles à l’art du mouvement. Conscients que la transposition pure et simple des arts vivants ne fonctionne pas à l’écran, les chorégraphes s’ajustent donc au médium et transforment leurs créations pour en livrer l’essence en images, révélant ainsi un aspect ignoré de leur talent. Au Québec, les derniers à ce jour à s’être ainsi illustrés sur la scène du 7e art sont Ginette Laurin et Édouard Lock.

La première a choisi la voie de la scénarisation et de la narration pour adapter la chorégraphie Passare et elle s’est associée à la cinéaste Oana Suteu pour réaliser une oeuvre si différente qu’elle a changé de titre. Primé au dernier FIFA, Point de fuite s’abreuve à une légende roumaine pour raconter en voix off la rupture entre un architecte et sa compagne. Illustrant les humeurs et les pensées des protagonistes, la danse alterne avec le jeu d’acteur dans une atmosphère globale empreinte de poésie et d’irréel. Tout en invitant à la contemplation, le film capte l’attention du début à la fin. Et au moment même où il sera projeté à Ex-Centris pour la Journée internationale de la danse (le 29 avril), il sera en compétition dans un festival suisse où Édouard Lock a précisément reçu un des nombreux prix récoltés par son film Amelia.

Produit en 2003 dans la foulée de la version scénique créée l’année précédente, le film est commercialisé depuis peu dans 63 pays, sous la forme d’un double coffret rendant aussi hommage aux 25 ans de La La La Human Steps. Avouons-le, le DVD sur l’historique de la compagnie est décevant, comme s’il avait été bâclé à la dernière minute pour ajouter un bonus dont Amelia aurait pu se passer. Car le film à lui seul est un joyau aux multiples facettes dont le DVD nous révèle quelques secrets passionnants. De fait, on peut choisir de s’offrir les 58 minutes de l’oeuvre accompagnées des commentaires d’Édouard Lock sur les danseurs, sa vision artistique et les impératifs de la création, ou opter pour 32 arrêts dans le making of du film pour découvrir les subterfuges techniques à l’origine des plans les plus saisissants – option hélas! difficilement accessible par ordinateur.

Rappelons qu’Amelia n’est que danse, tournée dans une immense boîte de bois figurant un plancher enveloppant les danseurs. Reprenant la chorégraphie de la version scénique mais dans le désordre, le film en change totalement les perspectives, proposant une aventure singulière et fascinante où l’oeil du spectateur est incarné par une caméra-danseuse. Aussi génial réalisateur que chorégraphe, Édouard Lock tire profit de l’esthétique cinématographique et du savoir-faire d’André Turpin, chef-opérateur de Maelström et réalisateur d’Un crabe dans la tête, pour produire, on peut le dire sans hésiter, un monument du film de danse. Un incontournable.

Amelia, d’Édouard Lock (2003 / Betacam / couleur / 57 min)
Point de fuite, d’Oana Suteu (2005 / Betacam / couleur / 47 min)