Larry Tremblay : De Chicoutimi à Paris
Avec Piercing, Larry Tremblay se joint au club très sélect des rares Québécois ayant l’honneur d’être publiés dans la collection la plus prestigieuse de Gallimard avec les récits du livre Piercing.
Recueil de trois récits, le livre regroupe une nouveauté, La Hache, texte conçu autant pour la forme romanesque que théâtrale, qui prend également d’assaut la scène du Théâtre de Quat’Sous la semaine prochaine, de même que deux textes publiés auparavant chez des éditeurs québécois, Piercing (en 1998) et Anna à la lettre C (en 1992). Ce qui nous vaut un survol de plus de dix ans d’écriture. Nous avons rencontré Larry Tremblay entre deux répétitions.
Mais qu’est-ce qui fait qu’un dramaturge québécois se retrouve dans la célèbre Collection blanche? "Après ma quatorzième version de La Hache, j’ai eu l’intuition que ce texte pourrait être publié chez Gallimard, comme j’avais eu l’intuition d’offrir The Dragonfly of Chicoutimi à Jean-Louis Millette à la fin de l’écriture de cette pièce." Il a donc posté son texte en France et on lui a répondu qu’on avait bien apprécié, mais que c’était un peu court pour en faire un livre. Tremblay leur a donc proposé d’ajouter les deux autres textes. Et, à sa grande surprise, l’éditeur parisien a accepté.
LE FOSSÉ DES GÉNÉRATIONS
Indépendants, et très différents, les uns des autres, ces récits s’amalgament pourtant en offrant des situations conflictuelles dans le cadre de relations intergénérationnelles. Anna à la lettre C raconte la rencontre d’une très jeune femme et d’un homme plus âgé un jour de canicule sous le signe d’une tension hautement sexuelle. Piercing relate la fugue d’une adolescente au lendemain de la mort de son père, depuis son Chicoutimi natal jusqu’à Montréal où elle s’égarera dans un milieu des plus marginaux. La Hache met en scène un professeur de littérature venu remettre sa copie, en pleine nuit, à un de ses étudiants. "Dans La Hache, j’ai voulu questionner la pensée extrême. Une idéologie extrême se base sur la pureté. Ce texte est né d’une réflexion sur le génocide qui n’est pas un acte de barbarie mais de civilisation, puisqu’il est structuré, planifié."
Ce texte pose aussi la question de la fin de la littérature, de la limite, de la responsabilité de la littérature. Il parle aussi de la médiatisation de la culture. "À la télévision, un écrivain doit maintenant couper des carottes ou faire un gâteau. On ne parle pas de littérature. On parle de l’individu, et accessoirement, on mentionne qu’il a publié un livre. L’écrivain est devenu l’excroissance de son oeuvre. Je pense que la littérature n’a rien à voir avec la télévision au Québec présentement."
AH! LA VACHE!
Dans le premier texte, il y a la vache folle. Dans le second, celle de la pochette d’Atom Heart Mother de Pink Floyd. Et dans le troisième, une communion autour d’un… hamburger! "J’adore les vaches. Je suis allé en Inde 14 fois. La vache y représente la mère, la nature. C’est une valeur à laquelle j’adhère. La vache est une métaphore dans La Hache. En partant de la maladie de la vache folle et de la destruction du bétail pour préserver la santé de l’être humain, on peut parler de génocide, de pureté, de la notion de sacrifice… Et ça plonge le texte dans une certaine actualité."
Le récit est écrit comme un monologue même s’il met en scène deux personnages. Le silence de l’étudiant représente notre propre mutisme, de même que celui du spectateur lors de la représentation. "La production théâtrale de La Hache nous pousse à travailler dans l’audace, dans le défi. Et on ne pouvait pas trouver meilleur théâtre à Montréal que le Quat’Sous pour la monter."
Et Tremblay a choisi de mettre en scène lui-même son propre texte, qui sera interprété par Jean-François Casabonne et Xavier Malo. "Disons que j’avais une longueur d’avance. J’appelle ça la plaque sensible. Ce texte-là résonne en moi. Et le décor, les acteurs, sur scène, livrent de l’information, ce qui m’a permis d’élaguer dans le texte."
DE CHICOUTIMI À MONTRÉAL
Le bandeau ornant le livre indique De Chicoutimi à Montréal. "Les Français adorent les mots comme Chicoutimi ou Chibougamau!" Une façon comme une autre de cultiver l’exotisme québécois! Au moins, cela indique-t-il que les trois récits s’inscrivent dans le territoire urbain.
Chose certaine, Larry Tremblay poursuit ici l’exploration de l’écriture sans faire de compromis, faisant entendre une voix très personnelle et singulière. Il suscite toujours, chez le lecteur ou le spectateur, la réflexion. Et difficile de sortir complètement indemne de ses textes. Percutant!
Larry Tremblay
Piercing
Éd. Gallimard
2006, 160 p.
Du 24 avril au 27 mai
Au Théâtre de Quat’Sous
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